Basile de CESAREE
(v. 330-379)
écrits
Saint, moine et
évêque de Césarée
docteur de l'Église
Développer en nous le germe de l’amour
L’amour de Dieu ne s’enseigne pas. Personne ne nous a appris à jouir de la lumière ni à tenir à la vie par-dessus tout ; personne non plus ne nous a enseigné à aimer ceux qui nous ont mis au monde ou nous ont élevés. De la même façon, ou plutôt à plus forte raison, ce n’est pas un enseignement extérieur qui nous apprend à aimer Dieu. Dans la nature même de l’être vivant – je veux dire de l’homme – se trouve inséré comme un germe qui contient en lui le principe de cette aptitude à aimer.
C’est à l’école des commandements de Dieu qu’il appartient de recueillir ce germe, de le cultiver diligemment, de le nourrir avec soin, et de le porter à son épanouissement moyennant la grâce divine. Autant que le Saint-Esprit nous en donnera le pouvoir, nous nous efforcerons, avec l’aide de Dieu et de vos prières, d’exciter l’étincelle de l’amour divin caché en vous. (…)
C’est en usant loyalement et convenablement de ces forces que nous vivons saintement dans la vertu ; en les détournant de leur fin, que nous sommes au contraire emportés vers le mal. Telle est, en effet, la définition du vice : l’usage abusif, et contraire aux commandements du Seigneur, des facultés que Dieu nous a données pour le bien, et telle, par conséquent, la définition de la vertu que Dieu exige de nous : l’usage consciencieux de ces facultés selon l’ordre du Seigneur.
Cela étant, nous dirons la même chose de la charité. En recevant de Dieu le commandement de l’amour, nous avons aussitôt, dès notre origine, possédé la faculté naturelle d’aimer.
Grandes Règles, Quest. 2
(in Lectures chrétiennes pour notre temps, fiche J41 ;
trad. Orval ; © 1971 Abbaye d'Orval)
« Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous »
Souviens-toi de ce proverbe : « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles » (Jc 4,6). Aie présente la parole du Seigneur : « qui s'humilie sera élevé, et qui s'élève sera abaissé » (Mt 23,12)... S'il te semble avoir quelque chose de bon, mets-le à ton compte, mais sans oublier tes fautes ; ne t'enfle pas de ce que tu as fait de bien aujourd'hui, n'écarte pas le mal récent et passé ; si le présent te donne sujet de gloriole, rappelle-toi le passé ; c'est ainsi que tu perceras le stupide abcès ! Et si tu vois ton prochain pécher, garde-toi de ne considérer en lui que cette faute, mais pense aussi à ce qu'il fait ou à ce qu'il a fait de bien ; et souvent, tu le découvriras meilleur que toi, si tu examines l'ensemble de ta vie et ne fais pas le calcul de choses fragmentaires. Car Dieu n'examine pas l'homme de façon fragmentaire... Rappelons-nous souvent tout cela pour nous préserver de l'orgueil, nous abaissant pour être élevés.
Imitons le Seigneur qui est descendu du ciel jusqu'au dernier abaissement... Mais après un tel abaissement, il a fait éclater sa gloire, glorifiant avec lui ceux qui avaient été méprisés avec lui. Tels étaient bien en effet, ses bienheureux premiers disciples, eux qui, pauvres et nus, parcoururent l'univers, sans paroles de sagesse, sans escorte fastueuse, mais seuls, errants et dans la peine, vagabonds sur terre et sur mer, battus de verges, lapidés, poursuivis, et finalement mis à mort. Tels sont pour nous les enseignements divins de notre Père. Imitons-les pour arriver, nous aussi, à la gloire éternelle, ce don parfait et véritable du Christ.
Homélie sur l'humilité, 5-6
(trad. Brésard, 2000 ans B, p. 232)
Inlassablement, Dieu nous appelle à la conversion
Jusqu’à quand remettrons-nous d'obéir au Christ qui nous appelle dans son Royaume céleste ? Ne nous purifierons-nous pas ? Ne nous résoudrons-nous pas à abandonner notre genre de vie habituel pour suivre à fond l'Évangile ?… Nous prétendons désirer le Royaume de Dieu, mais sans trop nous préoccuper des moyens de l'obtenir.
Bien mieux, dans la vanité de notre esprit, sans nous donner la moindre peine pour observer les commandements du Seigneur, nous croyons être dignes de recevoir les mêmes récompenses que ceux qui ont résisté au péché jusqu'à la mort. Mais qui, au temps des semailles, a pu s'asseoir et dormir chez lui, et ramasser ensuite des gerbes à pleines brassées au moment de la moisson ? Qui a fait la vendange sans avoir planté et cultivé de vigne ? Les fruits sont pour ceux qui ont peiné ; les récompenses et les couronnes pour ceux qui ont vaincu. A-t-on jamais couronné un athlète qui ne s'est même pas dévêtu pour combattre son adversaire ? Et pourtant, non seulement il faut vaincre, mais aussi « lutter selon les règles », comme le dit l'apôtre Paul (2Th 2,5), c'est-à-dire selon les commandements qui nous ont été donnés…
Dieu est bon, mais il est juste aussi…: « Le Seigneur aime la miséricorde et la justice » (Ps 32,5) ; « c'est pourquoi, Seigneur, je chanterai ta miséricorde et ta justice » (Ps 100,1)… Vois avec quel discernement le Seigneur use de la miséricorde. Il n'est pas miséricordieux sans examen, et il ne juge pas sans pitié, car « le Seigneur est miséricordieux et juste » (Ps 114,5). N'ayons donc pas de Dieu une idée tronquée ; son amour pour les hommes ne doit pas être pour nous prétexte à négligence.
Grandes Règles monastiques, prologue
(trad. Brésard, 2000 ans C, p. 20)
Construire d'autres greniers
« Insensé, cette nuit même, on te redemandera ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l'aura ? » La conduite du riche de l'Évangile est plus dérisoire que le châtiment éternel n'est rigoureux. En effet, cet homme qui va être enlevé de ce monde dans si peu de temps, quels projets agite-t-il dans son esprit ? « Je vais démolir mes greniers et j'en rebâtirai de plus grands. » Moi, je lui dirais volontiers : Tu fais bien, car ils ne méritent que trop d'être démolis, les greniers de l'injustice. De tes propres mains, détruis de fond en comble ce que tu as bâti malhonnêtement. Laisse s'écrouler tes réserves de blé dont personne n'est jamais parti réconforté. Fais disparaître tout bâtiment refuge de ton avarice, enlève les toits, abats les murs, expose au soleil le blé qui moisit, sors de leur prison les richesses qui y étaient captives...
« Je vais démolir mes greniers et j'en rebâtirai de plus grands. » Une fois que tu les auras remplis à leur tour eux aussi, quel parti prendras-tu ? Les démoliras-tu pour en rebâtir d'autres une fois encore ? Est-il pire folie que de se tourmenter sans fin, de construire avec acharnement et de s'acharner à détruire ? Tu as pour greniers, si tu le veux, les demeures des indigents. « Amasse-toi des trésors dans le ciel. » Ce qui est entreposé là « les vers ne le mangent pas, la rouille ne le ronge pas, les voleurs ne le dérobent pas » (Mt 6,20).
Homélie 31
(trad. Luc commenté, DDB 1987, p. 116 rev.)
Les deux commandements de l’amour
Question : Nous vous prions d'abord de nous dire si les commandements de Dieu se suivent dans un certain ordre. Y a-t-il un premier, un deuxième, un troisième et ainsi de suite ?…
Réponse : Le Seigneur en personne a déterminé l'ordre à garder dans ses commandements. Le premier et le plus grand est celui qui regarde la charité envers Dieu, et le second, qui lui est semblable, ou plutôt en est l'accomplissement et la conséquence, concerne l'amour du prochain...
Question : Parlez-nous d'abord de l'amour de Dieu. Il est entendu qu'il faut aimer Dieu, mais comment faut-il l'aimer ?...
Réponse : L'amour envers Dieu ne s'enseigne pas. Personne ne nous a appris à jouir de la lumière ni à tenir à la vie par-dessus tout ; personne non plus ne nous a enseigné à aimer ceux qui nous ont mis au monde ou nous ont élevés. De la même façon, ou plutôt à plus forte raison, ce n'est pas un enseignement extérieur qui nous apprend à aimer Dieu. Dans la nature même de l'être vivant -- je veux dire de l'homme -- est déposé une sorte de germe qui contient en lui le principe de cette aptitude à aimer. C'est à l'école des commandements de Dieu qu'il appartient de recueillir ce germe, de le cultiver diligemment, de le nourrir avec soin, et de le porter à son épanouissement moyennant la grâce divine. J'approuve votre zèle, il est indispensable au but…
Il faut savoir que cette vertu de charité est une, mais qu'en puissance elle embrasse tous les commandements : « Car celui qui m'aime, dit le Seigneur, accomplit mes commandements » (Jn 14,23), et encore : « Dans ces deux commandements sont contenus toute la loi et les prophètes » (Mt 22,40).
Grandes Règles monastiques, Q 1-2
(trad. Eds Maredsous 1969, p. 48s)
« Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes »
« Qui s'élève sera humilié, et qui s'abaisse sera élevé » (Mt 23,12)... Imitons le Seigneur qui est descendu du ciel jusqu'au dernier abaissement, et qui, en retour, a été élevé du dernier rang jusqu'à la hauteur qui lui convenait. Découvrons tout ce que nous enseigne le Seigneur pour nous conduire à l'humilité.
Petit bébé, le voici déjà dans une grotte, couché non dans un berceau, mais dans une mangeoire. Dans la maison d'un artisan et d'une mère sans ressources, il est soumis à sa mère et à son époux. Se laissant enseigner, écoutant ceux dont il n'avait nul besoin, il interrogeait, mais pourtant de telle sorte que par ses interrogations, on s'étonnait de sa sagesse. Il se soumet à Jean, et le Maître reçoit de son serviteur le baptême. Jamais il n'a résisté à ceux qui se dressaient contre lui, et n'a pas fait preuve de sa puissance invincible pour se libérer des mains qui l'enchaînaient, mais il s'est laissé faire, comme impuissant, et dans la mesure où il l'a jugé bon, il a donné prise sur lui à un pouvoir éphémère. Il a comparu devant le grand prêtre en qualité d'accusé ; conduit devant le gouverneur, il s'est soumis à son jugement, et alors qu'il pouvait répondre aux calomniateurs, il a subi en silence leurs calomnies. Couvert de crachats par des esclaves et des servants indignes, il a été enfin livré à la mort, à une mort infamante aux yeux des hommes. Voilà comment s'est déroulé sa vie d'homme depuis sa naissance jusqu'à sa fin. Mais après un tel abaissement, il a fait éclater sa gloire... Imitons-le pour arriver, nous aussi, à la gloire éternelle
Homélie sur l'humilité, 5-6
(trad. Brésard, 2000 ans B, p. 232 rev.)
Ne rien préférer au Christ
Notre Seigneur Jésus Christ a dit à tous, à plusieurs reprises et en donnant diverses preuves : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive » ; et encore : « Celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qu'il a ne peut être mon disciple ». Il nous paraît donc exiger le renoncement le plus complet... « Où est ton trésor, dit-il ailleurs, là est ton coeur » (Mt 6,21). Si donc nous nous réservons des biens terrestres ou quelque provision périssable, notre esprit y demeure enlisé comme dans de la boue. Il est alors inévitable que notre âme soit incapable de contempler Dieu, et devienne insensible aux désirs des splendeurs du ciel et des biens qui nous sont promis. Nous ne pourrons obtenir ces biens que si nous les demandons sans cesse, avec un ardent désir qui, du reste, nous rendra léger l'effort pour les atteindre.
Se renoncer, c'est donc délier les liens qui nous attachent à cette vie terrestre et passagère, se libérer des contingences humaines, afin d'être plus à même de marcher dans la voie qui conduit à Dieu. C'est se libérer des entraves afin de posséder et user de biens qui sont « beaucoup plus précieux que l'or et que l'argent » (Ps 18,11). Et pour tout dire, se renoncer, c'est transporter le coeur humain dans la vie du ciel, en sorte qu'on puisse dire : « Notre patrie est dans les cieux » (Ph 3,20). Et surtout, c'est commencer à devenir semblable au Christ, qui pour nous s'est fait pauvre, de riche qu'il était (2Co 8,9). Nous devons lui ressembler si nous voulons vivre conformément à l'Évangile.
Grandes Règles monastiques ; question 8
(trad. Brésard, 2000 ans C, p. 224 et Lèbe, Maredsous)
« Il lui restait encore quelqu'un : son fils bien-aimé. Il le leur envoya en dernier »
Dieu avait créé l'homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26), il l'avait jugé digne de le connaître lui-même, mis par le don d'intelligence au-dessus de tous les animaux, établi dans la jouissance des délices incomparables du Paradis, et enfin constitué maître de tout ce qui se trouvait sur la terre. Cependant, lorsqu'il l'a vu, dévoyé par le serpent, tomber dans le péché et, par le péché, dans la mort et les souffrances qui y conduisent, il ne l'a pas rejeté. Au contraire, il lui a donné d'abord le secours de sa Loi ; il a désigné des anges pour le garder et prendre soin de lui ; il a envoyé des prophètes pour lui reprocher sa méchanceté et lui enseigner la vertu...
Lorsque, malgré ces grâces et bien d'autres encore, les hommes ont persisté dans la désobéissance, il ne s'est pas détourné d'eux. Après avoir offensé notre bienfaiteur par notre indifférence devant les marques de sa bienveillance, nous n'avons pas été abandonnés par la bonté du Seigneur ni retranchés de son amour, mais nous avons été tirés de la mort et rendus à la vie par notre Seigneur Jésus Christ, et la manière dont nous avons été sauvés est digne d'une admiration plus grande encore. « Bien qu'il ait été Dieu, il n'a pas jugé bon de garder jalousement son égalité avec Dieu, mais il s'est abaissé jusqu'à prendre la condition d'esclave » (Ph 2,6-7). « Il a pris nos faiblesses, il a porté nos souffrances, il a été meurtri pour nous », afin de nous sauver par ses blessures (Is 53,4-5). Il « nous a rachetés de la malédiction en se faisant malédiction pour nous » (Ga 3,13) ; il a souffert la mort la plus infamante pour nous conduire à la vie de la gloire
Et il ne lui a pas suffi de rendre la vie à ceux qui étaient dans la mort, il les a revêtus de la dignité divine et leur a préparé dans le repos éternel un bonheur qui dépasse toute imagination humaine. « Que rendrons-nous donc au Seigneur » pour tout ce qu'il nous a donné ? (Ps 115,12) Il est si bon qu'il ne demande rien en compensation de ses bienfaits : il se contente d'être aimé
Grandes Règles monastiques, § 2
(trad. Lèbe, Maredsous 1969, p. 53-54 rev.)
« Il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu »
Dieu sur terre, Dieu parmi les hommes ! Cette fois il ne promulgue pas sa Loi au milieu des éclairs, au son de la trompette, sur la montagne fumante, dans l'obscurité d'un orage terrifiant (Ex 19,16s), mais il s'entretient d'une façon douce et paisible, dans un corps humain, avec ses frères de race. Dieu dans la chair !... Comment la divinité peut-elle habiter la chair ? Comme le feu habite le fer, non pas en quittant le lieu où il brûle, mais en se communiquant. En effet, le feu ne se jette pas sur le fer, mais en demeurant à sa place, il lui communique sa puissance. En cela il n'est nullement diminué, mais il remplit entièrement le fer auquel il se communique. De la même manière, Dieu, le Verbe, qui « a habité parmi nous », n'est pas sorti de lui-même. « Le Verbe qui s'est fait chair » n'a pas été soumis au changement ; le ciel n'a pas été dépouillé de celui qu'il contenait, et pourtant la terre a accueilli dans son sein celui qui est dans les cieux.
Pénètre-toi de ce mystère : Dieu est dans la chair afin de tuer la mort qui s'y cache... « Quand la grâce de Dieu s'est manifestée pour notre salut » (Tt 2,11), quand « s'est levé le Soleil de justice » (Ml 3,20), « la mort a été engloutie dans la victoire » (1Co 15,54) parce qu'elle ne pouvait pas coexister avec la vie véritable. Ô profondeur de la bonté et de l'amour de Dieu pour les hommes ! Rendons gloire avec les bergers, dansons avec les chœurs des anges, car « aujourd'hui est né un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur » (Lc 2,11-12).
« Dieu, le Seigneur, nous illumine » (Ps 117,27), non sous son aspect de Dieu, pour ne pas épouvanter notre faiblesse, mais sous son aspect de serviteur, afin de conférer la liberté à ceux qui étaient condamnés à la servitude. Qui aurait le cœur assez endormi et assez indifférent pour ne pas se réjouir, exulter d'allégresse, rayonner de joie devant cet évènement ? C'est une fête commune à toute la création. Tous doivent y contribuer, nul ne doit se montrer ingrat. Nous aussi, élevons la voix pour chanter notre allégresse !
Homélie sur la sainte génération du Christ, 2.6 ; PG 31, 1459s
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 172 rev.)
Se montrer habile
Considère, homme, celui qui t'a comblé de ses dons. Réfléchis sur toi-même. Rappelle-toi qui tu es, quelles affaires tu conduis, qui te les a confiées, pour quelle raison tu as été préféré à beaucoup. Tu es le serviteur du Dieu bon ; tu as la charge de tes compagnons de service. Ne crois pas que tous ces biens sont destinés à ton ventre. Dispose des biens que tu as entre les mains comme s'ils appartenaient à autrui ; ils te donneront du plaisir pendant quelque temps, puis s'évanouiront et disparaîtront. Mais il t'en sera demandé un compte détaillé...
« Que vais-je faire ? » La réponse était simple : « Je rassasierai les affamés ; j'ouvrirai mes greniers et j'inviterai les pauvres... Vous tous qui manquez de pain, venez à moi. Que chacun prenne une part suffisante des dons que Dieu m'a accordés. Venez y puiser comme à la fontaine publique ».
Homélie 6, sur la richesse ; PG 31,261s
(trad. Luc commenté, DDB 1987, p. 108)