BONAVENTURE

BONAVENTURE

(1221-1274)

écrits

Saint, franciscain, docteur de l'Église

« N'est-ce pas là le fils de Joseph ? »

 

Ils me paraissent être parvenus au plus haut degré, ceux qui, de tout cœur et sans feinte, se sont suffisamment possédés pour ne rien chercher d'autre que d'être méprisé, de ne compter pour rien et de vivre dans l'abaissement... Tant que vous n'en serez pas arrivés là, pensez que vous n'avez rien fait. En effet, comme en vérité nous sommes tous « des serviteurs quelconques », selon la parole du Seigneur (Lc 17,10), même si nous faisions bien toute chose, tant que nous ne serons pas parvenus à ce degré d'abaissement, nous ne serons pas encore dans la vérité, mais nous serons et nous marcherons dans la vanité...

Tu sais aussi comment le Seigneur Jésus a commencé d'abord par faire avant d'enseigner. Il devait dire plus tard : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Et cela il a voulu d'abord le pratiquer réellement, sans feinte. Il l'a fait de tout son cœur, comme de tout son cœur et en vérité il était humble et doux. Il n'y avait pas de dissimulation en lui (cf 2Co 1,19). Il s'est enfoncé si profondément dans l'humilité et le mépris et l'abjection, il s'est anéanti tellement aux yeux de tous, que lorsqu'il s'est mis à prêcher et à annoncer les merveilles de Dieu et à accomplir des miracles et des choses admirables, on ne l'estimait pas, on le dédaignait et l'on se moquait de lui en disant : « N'est-ce pas le fils du charpentier ? » et d'autres paroles semblables. Ainsi se vérifie la parole de l'apôtre Paul : « Il s'est anéanti lui-même, prenant la condition d'esclave » (Ph 2,7), non seulement d'un serviteur ordinaire par l'incarnation, mais d'un serviteur quelconque par la manière d'une vie humble et méprisée.

Méditations sur la vie du Christ ;
Opera omnia, t. 12, p. 530s (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 67 rev.)

« Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et prendront place au festin du Royaume »

 

Le Royaume des cieux est grand de la largeur d'une charité sans limites ; s'il renferme des individus « de toute langue, de tout peuple, de toute tribu et de toute nation » (Ap 5,9), nul ne s'y trouve à l'étroit, parce qu'au contraire il se dilate et la gloire de chacun s'accroît d'autant. Ce qui fait dire à saint Augustin : « Quand beaucoup prennent part à la même joie, la joie de chacun est plus abondante, parce que tous s'enflamment les uns les autres ». Cette ampleur du Royaume est exprimée par ces mots de l'Écriture : « Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage » (Ps 2,8) ; « Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et s'assoiront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux ». Ni la multitude de ceux qui le désirent, ni la multitude de ceux qui existent, ni la multitude de ceux qui le possèdent, ni la multitude de ceux qui arrivent ne rendra plus étroit l'espace en ce Royaume et ne fera de tort à quiconque.

Mais pourquoi dois-je avoir confiance ou espérer que je posséderai le Royaume de Dieu ? Certainement à cause de la largesse de Dieu qui m'invite : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu » (Mt 6,33). À cause de la vérité qui me réconforte : « Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). À cause de la bonté et de la charité qui m'ont racheté : « Tu es digne, Seigneur, de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux, car tu été immolé et tu as racheté pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation. Tu as fait d'eux pour notre Dieu une royaume de prêtres régnant sur la terre » (Ap 5,9-10).       

Du Royaume évangélique

Ce prodigieux mystère de l'Eucharistie

 

Lorsque tu dois t'approcher de la table du céleste banquet, « examine-toi toi-même », selon le conseil de l'Apôtre (1 Co 11, 28). Examine soigneusement avec quelle foi tu t'approches. (...) Vois d'abord quelle foi tu dois avoir à la vérité et à la nature de ce Sacrement de l'Eucharistie. Tu dois croire avec fermeté et sans aucun doute ce qu'enseigne et proclame la foi catholique : au moment où sont prononcées les paroles du Christ, le pain matériel et visible rend en quelque sorte hommage au Créateur et fait place, sous l'apparence visible des accidents, au Pain vivant qui descend du ciel pour le ministère et le service sacramentel. Le pain matériel cesse d'exister et, au même instant, sous ses accidents, existent vraiment plusieurs choses d'une manière prodigieuse et ineffable.

D'abord la chair très pure et le corps sacré du Christ, qui furent engendrés par l'opération du Saint-Esprit dans le sein de la glorieuse Vierge Marie, suspendus à la croix, déposés dans le sépulcre et glorifiés au ciel. Puisque la chair ne vit pas privée du sang, ce sang précieux, qui a coulé sur la croix heureusement pour le salut du monde, est là aussi nécessairement présent. Et comme il n'y a point d'homme véritable sans une âme raisonnable, l'âme glorieuse de Jésus-Christ, qui dépasse en grâce et en gloire toute vertu, toute gloire et toute puissance, en qui « reposent tous les trésors de la sagesse divine » (Col 2, 3), est elle-même présente. Enfin puisque le Christ est vrai homme et vrai Dieu, Dieu est là dans la gloire de sa majesté.

Ensemble et distinguées l'une de l'autre, ces quatre réalités se trouvent entières et parfaitement contenues sous les espèces du pain et du vin ; aussi bien dans le calice que dans l'hostie et non moins dans l'un que dans l'autre, si bien que rien ne manque en l'un qui doive être suppléé dans l'autre, et que tout se trouve en chacun des deux par un mystère « dont nous aurions beaucoup de choses à dire » (cf. He 5, 11). Mais il suffit de croire que chacune des espèces contient le vrai Dieu et Homme, entouré du concours des Anges et de la présence des Saints.

Traité de la préparation à la Messe
 (Œuvres spirituelles, Tome III, Sté S. François d'Assise, 1932, pp. 250-252, rev.)

Le Pain des Noces

 

Si vous avez quelques vertus, sources de bonnes œuvres, ou plutôt parce que vous êtes riche en vertus, persévérez dans leur pratique, progressez-y toujours, et, par elles, menez le combat du Christ jusqu'à la mort, afin qu'au dernier jour, au terme de votre vie, vous receviez pour salaire et récompense de votre travail la couronne de gloire et d'honneur. C'est pourquoi Jésus-Christ, votre unique amour, vous dit dans l'Apocalypse : « Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie. » (Ap 2,10) Cette couronne n'est pas autre chose que la récompense de la vie éternelle, dont la possession doit enflammer de désir tous les chrétiens. Levez-vous donc, amie de Dieu, épouse de Jésus-Christ, colombe du Roi éternel, venez, hâtez-vous aux noces du Fils de Dieu, car toute la cour céleste vous attend, « tout est préparé » (Cf. Mt 22,4 ; Lc 14,17b).

Un serviteur beau et noble est prêt à vous servir ; un mets précieux et délectable est préparé pour vous restaurer ; une société douce et très aimable est prête à partager votre joie. Levez-vous donc et hâtez-vous !

Courez à ces noces, puisqu'un serviteur d'une grande beauté est prêt à vous servir. Ce serviteur, c'est l'assemblée des anges, que dis-je ? c'est le propre Fils du Dieu éternel ! Ne se donne-t-il pas lui-même pour tel dans le Saint Évangile ? « En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera asseoir à table, et passant devant eux, il les servira » (Cf. Lc 12, 37). Oh ! que la gloire des pauvres et des méprisés sera grande quand ils seront servis par le Fils de Dieu, du souverain Roi, et par toute l'armée réunie du Royaume céleste.

Un aliment précieux et délectable est aussi préparé pour vous nourrir. Le Fils de Dieu, lui-même, dressera la table de ses propres mains. il l'affirme dans le Saint Évangile : « Et moi, je vous prépare le Royaume, comme mon Père me l'a préparé, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume » (Lc 22,29-30a). Oh ! Qu'il est suave et délicieux cet aliment, que Dieu dans sa bonté a préparé pour le pauvre ! Oh ! Comme il est heureux celui qui doit manger au Ciel ce pain préparé dans le sein de la Vierge par le feu du Saint-Esprit ! « Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6,58b). Le Roi céleste nourrit et restaure ses élus de ce pain, de cet aliment, comme il est dit au Livre de la Sagesse : « Vous avez nourri votre peuple de la nourriture des Anges » (Sg 16,20).

De la vie parfaite, ch. VIII, §2-4 (Œuvres spirituelles, rev.)

« Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent »

 

« Je suis la vraie vigne, » dit Jésus (Jn 15,1). (…) On creuse des tranchées autour de cette vigne, c'est-à-dire on creuse des embûches par la ruse. Quand on complote pour faire tomber quelqu'un dans un piège, c'est comme si on creusait une fosse devant lui. C'est pourquoi il s'en lamente en disant : « Ils ont creusé une fosse devant moi » (Ps 56,7). (…) Voici un exemple de ces pièges : « Ils ont amené une femme adultère » au Seigneur Jésus « en disant : ‘Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ?' » (Jn 8,3s). (…) Et un autre : « Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ? » (Mt 22,17). (…)

Mais ils ont découvert que ces embûches ne nuisaient pas à la vigne ; au contraire, en creusant ces fosses, ce sont eux-mêmes qui sont tombés dedans (Ps 56,7). (...) Alors, ils ont encore creusé : non seulement les mains et les pieds (Ps 21,17), mais ils ont percé son côté avec une lance (Jn 19,34) et ont mis à découvert l'intérieur de ce cœur très saint, qui avait déjà été blessé par la lance de l'amour. Dans le cantique de son amour, l'Époux dit : « Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse » (Ct 4,9 Vulg). Seigneur Jésus, ton cœur a été blessé d'amour par ton épouse, ton amie, ta sœur. Pourquoi donc fallait-il que tes ennemis le blessent encore ? Que faites-vous, ennemis ? (...) Ne saviez-vous pas que ce cœur du Seigneur Jésus, déjà frappé, est déjà mort, déjà ouvert, et ne peut plus être atteint par une autre souffrance ? Le cœur de l'Époux, du Seigneur Jésus, a déjà reçu la blessure de l'amour, la mort de l'amour. Quel autre mort pourrait l'atteindre ? (...) Les martyrs aussi rient quand on les menace, se réjouissent quand on les frappe, triomphent quand on les tue. Pourquoi ? Parce qu'ils sont déjà morts par amour dans leur cœur, « morts au péché » (Rm 6,2) et au monde. (…)

Le cœur de Jésus donc a été blessé et mis à mort pour nous (…) ; la mort physique a triomphé un moment, mais pour être vaincue à jamais. Elle a été anéantie quand le Christ est ressuscité des morts, parce que « sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir » (Rm 6,9).

La Vigne mystique, ch. 3, § 5-10