Nicolas CABASILAS

(vers 1320-1363)

écrits

Théologien laïc grec 

Vivre en Dieu

 

"Ainsi vivons-nous en Dieu : nous avons transposé notre vie de ce monde visible vers le monde invisible, non en changeant de lieu, mais en changeant d'existence et de vie. Car ce n'est pas nous qui nous sommes mis en route vers Dieu et qui sommes montés, mais c'est lui qui est venu chez nous et qui est descendu. Nous n'avons pas cherché, nous avons été cherchés ; ce n'est pas la brebis qui est partie à la recherche du berger (cf. Lc 15, 4-7), ni la drachme à la recherche du maître de maison (cf. Lc 15, 8-10), mais c'est lui qui s'est abaissé vers la terre et qui a retrouvé son effigie ; il s'est rendu sur les lieux où la brebis s'était égarée, il l'a soulevée et l'a relevée de son égarement ; il ne nous a pas fait sortir d'ici (cf. Jn 17, 15), mais tandis que nous restions sur la terre, il nous a rendus célestes ; il nous a donné sa vie qui est dans le ciel, non en nous élevant vers le ciel, mais en inclinant le ciel vers nous et en descendant : il inclina les cieux, et il descendit (Ps 17, 1)."

(La vie en Christ, Sources Chrétiennes, n° 355, Cerf, 1989, pp. 95-97).

« Si quelqu’un m’aime…, mon Père l’aimera, nous irons demeurer auprès de lui »

 

      La promesse liée à la table eucharistique nous fait habiter dans le Christ et le Christ en nous, car il est écrit : « Il demeure en moi et moi en lui » (Jn 6,56). Si le Christ demeure en nous, de quoi aurions-nous besoin ? Qu’est-ce qui pourrait nous manquer ? Si nous demeurons en Christ, que pouvons-nous désirer de plus ? Il est à la fois notre hôte et notre demeure. Heureux sommes-nous d'être son habitation ! Quelle joie d'être nous-mêmes la demeure d'un tel hôte ! Quel bien pourrait manquer à ceux qu’il traite ainsi ? Qu’est-ce qu’ils auraient en commun avec le mal, ceux qui resplendissent d'une telle lumière ? Quel mal pourrait résister à tant de bien ? Plus rien d’autre ne peut demeurer en nous ou venir nous assaillir quand le Christ s’unit à nous ainsi. Il nous entoure et pénètre le plus profond de nous-mêmes ; il est notre protection, notre refuge ; il nous enserre de tous côtés. Il est notre demeure, et il est l’hôte qui emplit toute sa demeure.

      Car nous ne recevons pas une partie de lui mais lui-même, non pas un rayon de lumière mais le soleil…, au point de ne former avec lui qu'un seul esprit (1Co 6,17)... Notre âme est unie à son âme, notre corps à son corps et notre sang à son sang… Comme le dit saint Paul : « Notre être mortel est absorbé par la vie » (2Co 5,4) et « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

La Vie en Christ, IV, 6-8 (trad. cf SC 355, p. 267)

« L'Epoux est avec eux »

      Il y a pour nous deux façons de connaître les objets : la connaissance que l'on peut recevoir par ouï-dire, et puis celle que l'on peut acquérir par soi-même. Par la première, nous n'atteignons pas l'objet lui-même, mais nous le percevons par les mots, comme en une image...; au contraire, faire l'expérience des objets, c'est les rencontrer eux-mêmes. Dans la seconde sorte de connaissance, la forme de l'objet saisit l'âme et éveille le désir comme une trace à la mesure de sa beauté...

      De même, lorsque notre amour pour le Sauveur ne produit rien de nouveau ni d'extraordinaire, il est évident que nous n'avons eu affaire qu'à des paroles entendues à son sujet. Comment par ouï-dire pourrions-nous connaître comme il le mérite celui à qui rien ne ressemble..., celui à qui rien ne peut être comparé et qui ne peut être comparé à rien ? Comment pourrions-nous connaître sa beauté et l'aimer à la mesure de sa beauté ? Mais quand des hommes éprouvent un vif désir de l'aimer, une envie de faire pour lui des choses qui surpassent la nature humaine, alors c'est l'Epoux lui-même qui les a blessés. Il a ouvert leurs yeux à sa beauté. La profondeur de la blessure témoigne que la flèche a frappé juste ; l'ardeur de leur désir révèle qui les a blessés.

      Voilà comment la nouvelle Alliance est différente de l'Ancienne : jadis c'était une parole qui éduquait les hommes ; aujourd'hui c'est le Christ présent en personne qui, d'une manière indicible, prépare et modèle les âmes des hommes. Si l'enseignement de la Loi avait suffi pour mener l'homme à sa fin, les actes aussi extraordinaires qu'un Dieu devenu homme, crucifié et qui meurt n'auraient pas été nécessaires. Cela est vrai aussi des apôtres, nos pères dans la foi. Ils avaient entendu l'enseignement du Sauveur, les paroles de sa bouche ; ils avaient vu ses miracles et tout ce qu'il avait supporté pour les hommes, l'avaient vu mourir, ressusciter et regagner le ciel. Tout cela, ils le savaient, mais ils n'ont rien montré de nouveau, de généreux, de vraiment spirituel, jusqu'à ce qu'ils soient baptisés dans l'Esprit Saint... Alors seulement, le vrai désir du Christ a été allumé en eux et par eux dans les autres. 

La Vie en Christ, II, 75s (trad. cf SC 355, p. 203)

Le Christ médecin vient apporter le remède aux malades

 

      Le Christ est descendu sur terre et, le premier, il a appelé ceux qui ne l'avaient pas encore appelé et qui n'avaient même jamais pensé à lui : « Je suis venu, dit-il, appeler les pécheurs ». S'il a recherché ainsi ceux qui ne le désiraient pas, que ne fera-t-il pas si on le prie ? S'il a aimé ceux qui le haïssaient, comment repousserait-il ceux qui l'aiment ? Comme le dit saint Paul : « Si Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils quand nous étions encore ses ennemis, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, nous serons sauvés par la vie du Christ ressuscité » (Rm 5,10).

      Considérons donc en quoi consiste notre prière. Nous ne sommes certes pas dignes d'obtenir ce qu'il convient à des amis de demander et de recevoir, mais bien ce qui est accordé à des serviteurs rebelles, à des débiteurs bien fautifs. Nous n'invoquons pas notre Maître pour qu'il nous accorde une récompense ou une faveur, mais pour qu'il nous fasse miséricorde. Demander au Christ, ami des hommes, la miséricorde, le pardon ou la remise des fautes et ne pas repartir les mains vides après cette prière, à qui est-ce que cela convient, sinon à des débiteurs, puisque « ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin » ? Bref, s'il a été accordé que les hommes devaient élever vers Dieu une voix implorant sa pitié, ce ne peut être que la voix de ceux qui ont besoin de miséricorde, la voix des pécheurs.

      Invoquons Dieu donc non seulement par notre bouche mais aussi par nos désirs et nos pensées, afin d'appliquer à tout ce par quoi nous avons péché l'unique remède qui peut nous sauver, « car il n'y a pas d'autre nom, dit l'Ecriture, par lequel nous puissions être sauvés » (Ac 4,12).

La Vie en Jésus Christ, livre 6 ; PG 150, 682-683 (trad. Orval)