Philoxène de MABBOUG
(?-v. 523)
écrits
Evêque en Syrie
« Élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32)
Sache et comprends bien, frère..., qu'il y a beaucoup de serpents dans le désert qui mordent la multitude de tes pensées, c'est à dire des injures, des médisances, des angoisses, des murmures, des disputes, des calomnies qui sont lancées contre toi... Mais si tu veux leur échapper, fais ce que faisaient les Israélites... : ils regardaient le serpent d'airain que Moïse avait dressé sur le sommet de la montagne, et tous ceux qui obéissaient et le regardaient était guéri. Toi aussi, lorsque tu te vois mordu par un de ces serpents, regarde notre Seigneur Jésus Christ suspendu à la croix... Comme le dit l'apôtre Paul : « Fixe les yeux sur Jésus, qui est à l'origine et au terme de notre foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré l'humiliation de la croix » (He 12,2)...
Voici en peu de mots comment il te faut avoir les yeux fixée sur lui quand tu es mordu par les serpents : quand tu es déshonoré, fixe les yeux sur lui ; lui aussi a été déshonoré pour toi, il a été traité de démon et de Samaritain (Jn 8,48)..., on l'a bafoué et giflé, on lui a craché au visage, on lui a donné à boire du vinaigre et du fiel, on lui a frappé la tête avec un roseau. Si tu es mordu par une pensée de vanité, parce qu'on te confie des services importants, souviens-toi de la parole de notre Seigneur : « Quand vous aurez fait tout ce qu'on vous a commandé, dites : Nous sommes des serviteurs quelconques » (Lc 17,10). Si tu as envie de mépriser ton frère à cause de sa faiblesse, fixe les yeux sur celui qui montrait plus de sollicitude pour les pécheurs, les publicains et les prostituées, pour les convertir par sa rencontre, plutôt que pour justes qui n'avaient pas besoin de conversion (Lc 5,30-32). Et lorsque les penchants naturels et les démons t'accablent, fixe les yeux sur lui, étendu sur la croix, les mains et les pieds fixés par les clous...
Sans cesse médite sur ces choses en ton cœur, et le venin des serpents disparaîtra de ton cœur. Car par sa crucifixion, Jésus est plus proche de toi que le serpent d'airain ne l'était des Hébreux : il habite ton cœur, et dans les replis secrets de ton âme la lumière de son visage glorieux resplendit.
Lettre sur la vie monastique
(trad. Graffin, Orient chrétien VI 1961, p. 339 rev. ; cf En Calcat)
« Eveille-toi, toi qui dors » (Ep 5,14)
« Tout homme qui écoute ce que je dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. » Il faut donc, selon ce que dit notre Maître, que nous nous appliquions non seulement à écouter la parole de Dieu, mais encore à y conformer notre vie... L'écoute de la loi est une bonne chose, car elle nous incite aux actions vertueuses. Nous avons raison de lire et de méditer les Écritures, car c'est ainsi que nous purifions le fond de notre âme des pensées mauvaises.
Mais lire, écouter et méditer assidûment la parole de Dieu sans la mettre en pratique, est une faute que l'Esprit de Dieu a condamnée à l'avance... Il a même interdit à celui qui se trouve dans de telles dispositions de prendre le livre saint dans ses mains. A l'impie, Dieu déclare : « Qu'as-tu à réciter mes lois, à garder mon alliance à la bouche, toi qui n'aimes pas les reproches et rejettes loin de toi mes paroles ? » (Ps 49,16-17)... Celui qui lit assidûment les Écritures sans les mettre en pratique trouve son accusation dans sa lecture ; il mérite une condamnation d'autant plus grave qu'il méprise et dédaigne chaque jour ce qu'il entend chaque jour. Il est comme un mort, un cadavre sans âme. Des milliers de trompettes et de cors peuvent bien sonner aux oreilles d'un mort, il ne les entendra pas. De même, l'âme qui est morte dans le péché, le cœur qui a perdu le souvenir de Dieu, n'entend pas le son ni les cris des paroles divines, et la trompette de la parole spirituelle ne l'impressionne pas ; cette âme est plongée dans le sommeil de la mort...
Il faut donc que le disciple de Dieu porte ancré dans son âme le souvenir de son Maître, Jésus Christ, et qu'il pense à lui jour et nuit.
Homélie 1, 4-8
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 103, cf SC 44, 27-31)
« Viens, et tu verras »
Jésus a renouvelé aux saints apôtres l'appel adressé à Abraham. Et leur foi ressemblait à celle d'Abraham ; car, de même qu'Abraham a obéi aussitôt qu'il a été appelé (Gn 12), de même les apôtres sont partis à la suite de Jésus aussitôt qu'il les a appelés et qu'ils l'ont entendu... Ce n'est pas un long enseignement qui les a faits disciples, mais le seul fait d'avoir entendu la parole de la foi. Parce que leur foi était vivante, aussitôt qu'elle a entendu la voix vivante, elle a obéi à la vie. Ils ont couru aussitôt à sa suite sans retard ; et on voit par cela qu'ils étaient disciples dans leur coeur avant même d'être appelés.
Voilà comment agit la foi qui a gardé la simplicité. Ce n'est pas à force d'arguments qu'elle reçoit l'enseignement ; mais, de même qu'un oeil sain et pur reçoit le rayon de soleil qui lui est envoyé, sans raisonner ni travailler, et qu'il perçoit la lumière aussitôt qu'il est ouvert...de même ceux qui ont la foi naturelle reconnaissent la voix de Dieu aussitôt qu'ils l'entendent. La lumière de sa parole se lève en eux ; ils se lancent joyeusement au devant d'elle et la reçoivent, comme l'a dit notre Seigneur dans l'Evangile : « Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent » (Jn 10,27).
Homélie n° 4, 76-79 (trad. SC 44, p. 95 rev.)
« Il ne protestera pas, il ne criera pas »
Écoute le prophète annoncer notre Seigneur. Il le compare à l'agneau, à la brebis, les plus innocents des animaux : « Il a été conduit à l'abattoir comme un agneau, il se taisait comme une brebis devant le tondeur » (Is 53,7)... Notre Seigneur n'a pas été comparé à un lion quand il a été conduit à la mort... Comme un agneau, une brebis, il gardait le silence quand il a été conduit à la Passion et à la mort : « Il se taisait comme une brebis devant le tondeur. Il n'a pas ouvert la bouche » dans son humiliation.
Confirmant la parole de la prophétie par sa conduite, il a gardé le silence quand ils l'ont emmené, il s'est tu quand ils l'ont jugé, il ne s'est pas plaint quand ils l'ont flagellé, il n'a pas discuté quand ils l'ont condamné, il ne s'est pas irrité quand ils l'ont ligoté. Il n'a pas murmuré quand ils lui ont frappé les joues, il n'a pas crié quand il a été dépouillé de ses vêtements, comme une brebis de sa toison. Il ne les a pas maudits quand ils lui ont donné le fiel et le vinaigre ; il ne s'est pas irrité contre eux quand ils l'ont cloué sur le bois
Homélie n°5, Sur la simplicité, 137-139
(trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 138)
« Je crois ! Viens en aide à mon peu de foi »
Viens pencher ton oreille et entendre, viens ouvrir tes yeux et voir les prodiges qui sont montrés par la foi. Viens te former des yeux nouveaux, viens te créer des oreilles cachées. Tu es invité à entendre des choses cachées...; tu as été appelé à voir des réalités spirituelles... Viens voir ce que tu n'es pas encore, et renouvelle-toi en entrant dans la nouvelle création.
La Sagesse était avec ton Créateur dans ses premières oeuvres (Pr 8,22). Mais dans la deuxième création la foi était avec lui ; dans ce second enfantement il a pris la foi pour auxiliaire. La foi accompagne Dieu en toutes choses, et il ne fait rien de nouveau aujourd'hui sans elle. Il lui aurait été facile de te faire naître de l'eau et de l'Esprit (Jn 3,5) sans elle, et cependant, il ne te fait pas naître à la seconde naissance avant que tu n'aies récité le symbole de la foi, le credo. Il pouvait te renouveler, et d'ancien, te faire nouveau, et cependant il ne te change pas et ne te renouvelle pas avant d'avoir reçu de toi la foi en gage. La foi est exigée de celui qui est baptisé, et c'est alors que, de l'eau il reçoit des trésors. Sans la foi, tout est vulgaire ; lorsque la foi est venue, les choses viles apparaissent glorieuses. Sans la foi, le baptême est de l'eau ; sans la foi, les mystères vivifiants sont du pain et de l'eau ; sans l'oeil de la foi, l'homme ancien apparaît uniquement ce qu'il est ; sans l'oeil de la foi, les mystères sont vulgaires et les prodiges de l'Esprit sont vils.
La foi regarde, contemple et considère secrètement la puissance qui s'est cachée dans les choses... Car voici : tu portes sur ta main la parcelle du mystère qui, de sa nature, est du pain vulgaire ; la foi la regarde comme le corps de l'Unique... Le corps voit du pain, du vin, de l'huile, de l'eau, mais la foi oblige son regard à voir spirituellement ce qu'il ne voit pas corporellement, c'est-à-dire à manger le Corps au lieu du pain, à boire le Sang au lieu du vin, à voir le baptême de l'Esprit au lieu de l'eau et la puissance du Christ au lieu de l'huile.
Homélie 3, 52-56 (trad. SC 44, p. 71)
« Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent »
De même que l'oeil sain et pur reçoit le rayon lumineux qui lui est envoyé, ainsi l'oeil de la foi, avec la pupille de la simplicité, reconnaît la voix de Dieu aussitôt que l'homme l'entend. La lumière émanant de sa parole se lève en lui, il se lance joyeusement au-devant d'elle et il la reçoit, comme l'a dit notre Seigneur dans son Évangile : « Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent » (Jn 10,27)...
C'est avec cette pureté et cette simplicité que les apôtres ont suivi la parole du Christ. Le monde n'a pas pu les empêcher, ni les habitudes humaines les retenir, ni aucun des biens qui passent pour être quelque chose dans le monde les entraver. Ces âmes avaient senti Dieu et vivaient de la foi, et chez de telles âmes, rien dans le monde ne peut l'emporter sur la parole de Dieu. Celle-ci est faible dans les âmes mortes ; c'est parce que l'âme est morte que, de puissante, la Parole devient faible et que l'enseignement de Dieu, de valide, devient sans force chez elles. Car toute l'activité de l'homme se porte là où il vit ; celui qui vit pour le monde met au service du monde ses pensées et ses sens, tandis que celui qui vit pour Dieu se tourne vers ses commandements puissants dans toutes ses actions.
Tous ceux qui ont été appelés ont obéi sur-le-champ à la voix qui les appelait lorsque le poids de l'amour des choses terrestres n'était pas suspendu à leur âme. Car les liens du monde sont un poids pour l'intelligence et les pensées, et ceux qui en sont liés et entravés entendent difficilement la voix de Dieu qui les appelle. Mais les apôtres et, avant eux, les justes et les pères n'étaient pas ainsi ; ils ont obéi comme des vivants, et ils sont sortis légers, parce que rien du monde ne les liait de son poids. Rien ne peut lier et entraver l'âme qui sent Dieu ; elle est ouverte et prête, en sorte que la lumière de la voix divine la trouve en état de la recevoir chaque fois qu'elle vient.
Homélie 4, 77s (trad. SC 44, p. 95 ; rev. Brésard, Année C, p. 256)
Zachée découvre le seul bien véritable
Notre Seigneur a appelé Zachée du sycomore sur lequel il était monté, et aussitôt Zachée s'est empressé de descendre et l'a reçu dans sa maison. C'était parce que, avant même d'être appelé, il espérait le voir et devenir son disciple. C'est une chose admirable qu'il ait cru en lui sans que Notre Seigneur lui ait parlé et sans l'avoir vu avec les yeux du corps, mais simplement sur la parole des autres. La foi qui était en lui avait été gardée dans sa vie et sa santé naturelles. Et cette foi a été manifestée quand il a cru en Notre Seigneur au moment même où il a appris son arrivée. La simplicité de sa foi est apparue lorsqu'il a promis de donner la moitié de ses biens aux pauvres et de rendre au quadruple ce qu'il avait pris d'une manière malhonnête.
En effet, si l'esprit de Zachée n'avait pas été rempli à ce moment-là de la simplicité qui convient à la foi, il n'aurait pas fait cette promesse à Jésus et il n'aurait pas dépensé et distribué en peu de temps ce qu'il avait amassé pendant tant d'années de travail. La simplicité a répandu de tous côtés ce que la ruse avait amassé, la pureté de l'âme a dispersé ce que la tromperie avait acquis et la foi a renoncé à ce que l'injustice avait obtenu et possédé et elle a proclamé que cela ne lui appartenait pas.
Car Dieu est le seul bien de la foi, et elle refuse de posséder d'autres biens avec lui. Tous les biens sont de peu d'importance pour elle, en dehors de ce seul bien durable qui est Dieu. Nous avons reçu en nous la foi pour trouver Dieu et ne posséder que lui, et pour voir que tout ce qui est en dehors de lui ne sert à rien.
Homélie 4, 79-80 (trad. SC 44, p. 97 rev. ; cf Delhougne, p. 456)
« Si vous êtes des enfants d’Abraham, vous devriez agir comme Abraham »
Au premier appel, Abraham est sorti à la suite de Dieu. Il ne s’est pas fait juge de la parole qui s'adressait à lui. Son attachement pour sa famille et ses proches ne l’a pas retenu, ni l'amour de son pays et de ses amis, ni aucun autre lien humain. Mais dès qu'il a entendu la parole et qu'il a su qu'elle était de Dieu, il l'a écoutée avec simplicité, sa foi l’a tenue pour vraie. Méprisant tout le reste, il s’est mis en route avec l'innocence de la nature qui ne cherche pas à ruser ni à faire le mal. Il a couru vers la parole de Dieu comme un enfant court vers son père...
Dieu lui avait dit : « Sors de ton pays et de ta famille, et viens dans le pays que je te montrerai » (Gn 12,1). C'est pour faire triompher la foi d'Abraham et rendre éclatante sa simplicité que Dieu ne lui a pas révélé le pays où il l'appelait ; il semblait le conduire vers Canaan, et pourtant la promesse lui parlait d'un autre pays, celui de la vie qui est dans les cieux. Saint Paul l'atteste : « Il attendait la ville aux fondements solides, celle dont Dieu lui-même est l'architecte et le bâtisseur » (He 11,10)... Bien mieux, afin de nous montrer plus clairement que cette promesse ne concernait pas une patrie terrestre, Dieu, après avoir fait sortir Abraham de sa patrie, Ur des Chaldéens, ne l’a pas conduit aussitôt au pays de Canaan, il l’a fait demeurer d'abord à Harrane. Il ne lui a pas révélé non plus tout de suite le nom du pays où il le conduisait ; Abraham ainsi ne sortirait pas de Chaldée sur le seul attrait d'une récompense.
Considère donc cette sortie d'Abraham, ô disciple, et que la tienne ressemble à la sienne ! Ne tarde pas à répondre à la voix vivante du Christ qui t'appelle. Autrefois il ne s'adressait qu'à Abraham ; aujourd'hui, par son Évangile, il appelle tous ceux qui le veulent, il les invite à sortir à sa suite, car son appel concerne tous les hommes... Autrefois il a choisi le seul Abraham ; aujourd'hui il demande à tous d'imiter Abraham.
Homélie n° 4, Sur la simplicité, 75-76
(trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t.1, Médiaspaul 1988, p. 48 ; cf SC 44)
Être son disciple
Écoute la voix de Dieu qui te pousse à sortir de toi pour suivre le Christ…, et tu seras un disciple parfait : « Celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » Après cela, qu’as-tu à dire ? Que peux-tu répondre ? Toutes tes hésitations et tes questions tombent devant cette seule parole… Et le Christ dit dans un autre endroit : « Celui qui se détache de sa vie en ce monde la garde pour la vie éternelle… Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12,25s).
Il a dit encore à ses disciples : « Levez-vous, partons d’ici ! » (Jn 14,31) Par cette parole, il a montré que ni sa place ni celle de ses disciples n’est ici. Où irions-nous donc, Seigneur ? « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12,26). Si Jésus nous crie : « Levez-vous, partons d'ici ! », qui sera donc assez sot pour consentir à rester avec les cadavres dans leurs tombeaux et à habiter parmi les morts ? Chaque fois donc que le monde veut te retenir, rappelle-toi la parole du Christ : « Levez-vous, partons d'ici ! »… Chaque fois que tu veux t’asseoir, t’installer, te complaire à rester là où tu es, rappelle-toi cette voix pressante et dis-toi : « Lève-toi, allons-nous-en d’ici. »
Car de toute façon, il faudra t’en aller. Mais va-t’en comme Jésus s’en va : va-t’en parce qu’il te l’a dit, non parce que les lois de la nature t’emportent malgré toi. Que tu le veuilles ou non, tu es sur le chemin de ceux qui partent. Pars donc à cause de la parole de ton Maître, et non par la nécessité de la contrainte. « Lève-toi, partons d'ici ! » Cette voix éveille les assoupis : c’est la trompette qui chasse le sommeil de la paresse par sa sonnerie. C’est une force et non une parole : soudain elle revêt celui qui la sent d’une force nouvelle et le pousse d’une chose à une autre en un clin d’œil… « Levez-vous, partons d’ici » : voici que lui aussi s’en va avec toi ; pourquoi t’attardes-tu ?... Dieu t’appelle à t’en aller en sa compagnie.
Homélies, n° 9 ; SC 44