Pierre le VENERABLE
(1092-1156)
écrits
Abbé de Cluny
« À la recherche de Jésus »
Écoutez, tous les peuples ; écoutez, nations répandues sur la surface de la terre ; prêtez l'oreille, tribus et races diverses (cf Ap 7,9), vous tous qui vous croyiez abandonnés et vous pensiez jusqu'à présent méprisables ; prêtez l'oreille et réjouissez-vous : votre Créateur ne vous a pas oubliés. Il n'a pas voulu laisser plus longtemps sa colère retenir ses miséricordes ; maintenant il veut sauver dans sa bonté non seulement le petit nombre des juifs, mais encore votre multitude innombrable. Écoutez le saint prophète Isaïe... : « En ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme un signe pour les peuples » (11,10)...
Comme l'a attesté Jésus lui-même, il est celui que « Dieu, le Père, a marqué de son sceau », pour qu'il soit un signe. Mais un signe pour quoi ? Pour qu'exalté en haut de l'étendard de la croix, tel le serpent de bronze élevé au milieu du camp (Nb 21), il tourne vers lui les regards non seulement du peuple juif, mais de l'univers entier, et qu'il attire à lui par sa mort sur la croix le cœur de tous les hommes. Il leur apprendrait ainsi à mettre en lui toute leur espérance. En guérissant toutes leurs faiblesses, en pardonnant tous leurs péchés, en ouvrant à tous le Royaume des cieux fermé depuis si longtemps, il leur montrerait qu'il est bien « celui qui devait être envoyé..., celui qu'attendaient les nations » (Gn 49,10 Vulg.). Ce signe, il l'a dressé lui-même pour les peuples afin de « réunir les exilés d'Israël et de rassembler des quatre vents les dispersés de Juda » (Is 11,12).
Sermon sur la louange du saint sépulcre
(trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, Mediaspaul 2000, t. 6, p. 58
« Son visage resplendit comme le soleil » (Mt 17,2)
Quoi d'étonnant que le visage de Jésus soit devenu comme le soleil, puisqu'il était lui-même le soleil ? Il était le soleil, mais caché derrière un nuage. Maintenant le nuage s'écarte, et il resplendit pour un instant. Quel est ce nuage qui s'écarte ? Ce n'est pas la chair elle-même, mais la faiblesse de la chair qui disparaît un moment.
Ce nuage, c'est celui dont parle le prophète : « Voici que le Seigneur montera sur une nuée légère » (Is 19,1) : nuée de la chair qui couvre la divinité, légère car cette chair ne porte en elle-même rien de mal ; nuée qui dissimule la splendeur divine, légère car elle doit s'élever jusqu'à la splendeur éternelle. C'est le nuage dont il est dit dans le Cantique des Cantiques : « Je me suis assise à l'ombre de celui que je désire » (Ct 2,3). Nuage léger car cette chair est celle de « l'Agneau qui enlève les péchés du monde » (Jn 1,29) ; et une fois ceux-ci enlevés, le monde est élevé dans les hauteurs des cieux, délesté du poids de tous ses péchés.
Le soleil voilé par cette chair n'est pas « celui qui se lève pour les bons et les méchants » (Mt 5,45), mais « le Soleil de justice » (Ml 3,20) qui se lève seulement pour ceux qui craignent Dieu. Habituellement voilée par le nuage de la chair, cette « lumière qui éclaire tous les hommes » (Jn 1,9) brille aujourd'hui de tout son éclat. Aujourd'hui elle glorifie cette même chair ; elle la montre déifiée aux apôtres, pour que les apôtres la révèlent au monde.
Sermon 1 pour la Transfiguration ; PL 189, 959
(trad. cf Grâce de la Transfiguration, Bellefontaine 1990,
coll. Vie monastique, n°24, p. 149)
Transfiguration du Seigneur
"Aujourd’hui, frères très chers, le jour resplendit plus clair que de coutume car sur terre brille la lumière du ciel. La lumière véritable éclaire les ténèbres des mortels, et la splendeur de Dieu se montre visiblement, que dis-je, corporellement, dans le monde des hommes. Aujourd’hui, le soleil éternel, dévoilant quelque peu la ténèbre de la faiblesse charnelle, resplendit de ses rayons dans son corps encore mortel, par un miracle nouveau et stupéfiant. Aujourd’hui, le Verbe fait chair montre, dans la clarté de son visage et de ses vêtements, la divinisation de la chair qu’il s’est unie. Aujourd’hui, nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père, comme Fils unique lorsque la voix de majesté transmet cette parole : celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur, écoutez-le..."
(Pierre le Vénérable : Homélie pour la Transfiguration du Seigneur,
PL 207, col. 779-790).
« Il est heureux que nous soyons ici »
« Son visage resplendit comme le soleil » (Mt 17,2)… Revêtue de la nuée de la chair, aujourd'hui la lumière qui éclaire tout homme (Jn 1,9) a resplendi. Aujourd'hui elle glorifie cette même chair, elle la montre déifiée aux apôtres pour que les apôtres la révèlent au monde. Et toi, cité bienheureuse, tu jouiras éternellement de la contemplation de ce Soleil, quand tu « descendras du ciel, parée par Dieu comme l'épouse pour son époux » (Ap 21,2). Jamais plus ce Soleil ne se couchera pour toi ; éternellement lui-même, il fera rayonner un matin éternel. Ce Soleil ne sera plus jamais voilé d'aucun nuage, mais brillant sans cesse, il te réjouira d'une lumière sans déclin. Ce Soleil n'éblouira plus tes yeux mais te donnera la force de le regarder et t’enchantera de sa splendeur divine… « Il n'y aura plus ni mort ni deuil, ni cri ni peine » (Ap 21,4) qui puisse assombrir l'éclat que Dieu t'a donné car, comme il a été dit à Jean : « L’ancien monde s’en est allé ».
Voilà le Soleil dont parle le prophète : « Tu n'auras plus besoin du soleil pour t'éclairer ni de la lune pour t'illuminer, mais le Seigneur ton Dieu sera ta lumière pour toujours » (Is 60,19). Voilà cette lumière éternelle qui resplendit pour toi sur le visage du Seigneur. Tu entends la voix du Seigneur, tu contemples son visage resplendissant, et tu deviens comme le soleil. Car c'est à son visage qu'on reconnaît quelqu'un, et le reconnaître, c'est comme en être illuminé. Ici-bas tu crois dans la foi ; là tu reconnaîtras. Ici tu saisis par l'intelligence ; là tu seras saisie. Ici tu vois « comme dans un miroir » ; là tu verras « face à face » (1Co 13,12)... Alors s’accomplira ce désir du prophète : « Qu'il fasse resplendir sur nous son visage » (Ps 66,2)… Dans cette lumière tu te réjouiras sans fin ; dans cette lumière, tu marcheras sans fatigue. Dans cette lumière, tu verras la lumière éternelle.
Sermon 1 pour la Transfiguration ; PL 189, 959
(trad. cf Orval et Brésard, 2000 ans B, p. 292)