Pierre CHRYSOLOGUE

Pierre CHRYSOLOGUE

(v. 406-450)

écrits

Saint,
évêque de Ravenne, docteur de l'Église

Comme Hérode, nous voulons voir Jésus

 

L'amour n'admet pas ne pas voir ce qu'il aime. Tous les saints n'ont-ils pas considéré comme peu de chose tout ce qu'ils obtenaient tant qu'ils ne voyaient pas Dieu ?... C'est ainsi que Moïse ose dire : « Si j'ai trouvé grâce devant toi, montre-moi ton visage » (Ex 33,13). Et le psalmiste : « Montre-nous ton visage » (Ps 79,4). N'est-ce pas pour cela que les païens se sont fait des idoles ? Au sein même de l'erreur, ils voyaient de leurs yeux ce qu'ils adoraient.

Dieu savait donc les mortels tourmentés du désir de le voir. Ce qu'il a choisi pour se montrer était grand sur la terre et non le moindre dans le ciel. Car ce que, sur terre, Dieu a fait semblable à lui ne pouvait pas rester sans honneur dans le ciel : « Faisons, dit-il, l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1,26)... Que personne donc ne pense que Dieu a eu tort de venir aux hommes par un homme. Il a pris chair parmi nous pour être vu de nous.

Sermon 147 ; PL 52, 594-596 (trad. Orval)

« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller »

 

      Le fils revient chez son père et s'écrie : « Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme un de tes salariés »... Mais le père accourut, et accourut de loin. « Alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. » (Rm 5,8) Le père accourut... dans la personne du Fils, quand par lui, il est descendu du ciel et venu sur terre. « Le Père qui m'a envoyé est avec moi » dit-il dans l'Évangile (cf Jn 16,32). Il se jeta à son cou : il s'est jeté jusqu'à nous quand par le Christ, toute sa divinité est descendue du ciel et s'est installée dans notre chair. Et il l'embrassa. Quand ? Quand « la compassion et la vérité se sont rencontrées ; la justice et la paix se sont embrassées » (Ps 84,11).

      Il lui fit donner une robe de fête : celle qu'Adam a perdue, la gloire éternelle de l'immortalité. Il lui passa un anneau au doigt : l'anneau de l'honneur, son titre de liberté, le gage particulier de l'esprit, le signe de la foi, les arrhes des noces célestes. Écoute l'apôtre Paul : « Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure » (2Co 11,2). Et il lui fit mettre des chaussures aux pieds : pour que nos pieds soient chaussés quand nous annonçons la bonne nouvelle de l'Évangile, pour que soient bénis « les pieds de ceux qui annoncent une bonne nouvelle de paix » (Is 52,7; Rm 10,15).

      Et il fit tuer pour lui le veau gras... Le veau est tué sur l'ordre du père parce que le Christ, Dieu, Fils de Dieu, ne pouvait pas être tué sans le vouloir du Père ; écoute encore l'apôtre Paul : « Il n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous » (Rm 8,32).

Sermon 5 sur le fils prodigue ; PL 52,197
(trad. Année en fête, Migne 2000, p. 243)

Le signe de Jonas

 

      Voilà que la fuite du prophète Jonas loin de Dieu (Jon 1,3) se change en image prophétique, et ce qui est présenté comme un naufrage funeste devient le signe de la Résurrection du Seigneur. Le texte même de l'histoire de Jonas nous montre bien comment celui-ci réalise pleinement l'image du Sauveur. Il est écrit que Jonas « s'enfuit loin de la face de Dieu ». Le Seigneur n'a-t-il pas lui-même, pour prendre la condition et le visage de l'homme, fui la condition et l'aspect de la divinité ? Ainsi le dit l'apôtre Paul : « Lui, qui était de condition divine, n'a pas revendiqué son droit d'être l'égal de Dieu, mais il se dépouilla lui-même, prenant la condition de serviteur » (Ph 2,6-7). Celui qui est Seigneur a revêtu la condition de Serviteur ; pour passer inaperçu dans le monde, pour être victorieux du démon, il s'est fui lui-même dans l'homme... Dieu est partout : il est impossible de le fuir ; pour « s'enfuir loin de la face de Dieu », non dans un lieu mais en quelque sorte par l'aspect, le Christ s'est réfugié dans le visage de notre servitude totalement assumé.

      Le texte poursuit : « Jonas descendit à Joppé pour s'enfuir à Tarsis. » Celui qui descend, le voici. « Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel » (Jn 3,13). Le Seigneur est descendu du ciel vers la terre, Dieu est descendu vers l'homme, la toute-puissance est descendue vers notre servitude. Mais Jonas qui descendait vers le navire a dû y monter pour voyager ; ainsi le Christ, descendu dans ce monde, est monté, par les vertus et les miracles, dans le navire de son Église.

Sermon 3, PL 52, 303-306, CCL 24, 211-215
(trad. Thèmes et figures, DDB 1984, p. 117)

« Je vais retourner chez mon père »

 

      Si la conduite de ce jeune homme nous déplaît, ce qui nous fait horreur, c'est son départ : quant à nous, ne nous éloignons jamais d'un tel père ! La seule vue du père fait fuir les péchés, repousse la faute, exclut toute inconduite et toute tentation. Mais, si nous sommes partis, si nous avons gaspillé tout l'héritage du père dans une vie de désordre, s'il nous est arrivé de commettre quelque faute ou méfait, si nous sommes tombés dans le gouffre de l'impiété et dans un effondrement total, levons-nous une bonne fois et revenons à un si bon père, invités par un si bel exemple.

      « Quand le père le vit, il fut saisi de pitié, il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » Je vous le demande : quelle place y-a-t-il ici pour le désespoir ? Quel prétexte pour une excuse ? Quelle fausse raison de craindre ? A moins peut-être que l'on craigne la rencontre du père, que l'on ait peur de ses baisers et de ses embrassements ; à moins que l'on croie que le père veut saisir pour récupérer, au lieu de recevoir pour pardonner, lorsqu'il attire son enfant par la main, le prend sur son coeur, le serre dans ses bras. Mais une telle pensée, qui écrase la vie, qui s'oppose à notre salut, est amplement vaincue, amplement anéantie par ce qui suit : « Le père dit à ses domestiques : Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. » Après avoir entendu cela, pouvons-nous encore tarder ? Qu'attendons-nous pour revenir au père ?

Homélie sur le pardon, 2, 3
(trad. bréviaire)

« Quel père, parmi vous, donnerait une pierre à son fils qui lui demande du pain ? »

 

      Si Dieu a voulu que tu sois père..., c'était pour qu'en donnant toi aussi la vie, tu saches ce qu'est la tendresse paternelle, pour que tu expérimentes en toi l'amour de ton créateur autant que tu peux ressentir toi-même d'affection pour tes propres enfants... Si donc tu crois en Dieu, et si tu confesses qu'il est père, tout ce qu'il ordonne, tout ce qu'il choisit à ton égard, crois que c'est le salut pour toi, la vie pour toi. On ne peut annuler les dons d'une mère, on ne peut récuser les avertissements d'un père ; même si les ordres paternels semblent austères, en réalité ils sont sauveurs et vivifiants.

      Ainsi Abraham, lorsqu'il a compris que Dieu était père, ne s'attarde pas aux apparences dures et âpres des commandements ; mais ce que le Père des cieux ordonne, il s'en fait une gloire... ; puisque Dieu commande, il s'en remet entièrement à son amour... Pourquoi, lorsque l'on connaît Dieu, contester ses dons de Père au lieu de les accueillir comme des choses bonnes et avantageuses, tandis que le petit et l'innocent, lui, attend tout de son père ?

      Examinons de plus près la comparaison que le Seigneur emploie dans son Évangile : « Quel père parmi vous, nous dit-il, donnerait une pierre à son fils qui demande du pain ? » Le Christ était venu pour des fils, c'est-à-dire pour son peuple élu -- même s'il s'était plaint de les avoir engendrés et s'était écrié : « J'ai engendré des fils et je les ai élevés, mais eux m'ont méprisé. » (Is 1,2) Il était donc venu pour des fils, lui, le vrai pain du ciel qui disait : « Je suis le pain descendu du ciel. » (Jn 6,41)

Sermon 55 ; PL 52, 352-354 (trad. En Calcat)

Anne voit enfin Dieu dans son Temple

 

      Ce Dieu que le monde ne peut étreindre, comment l'homme au regard si limité peut-il le cerner ? L'amour ne se soucie pas de savoir si une chose est sûre, convenable ou possible. L'amour...ignore la mesure. Il ne se console pas sous prétexte que c'est impossible ; la difficulté ne l'arrête pas... L'amour ne peut pas ne pas voir ce qu'il aime... Comment se croire aimé de Dieu sans le contempler ? Ainsi, l'amour qui désire voir Dieu, même s'il n'est pas raisonné, est inspiré par l'intuition du coeur. C'est pourquoi Moïse a osé dire : « Si j'ai trouvé grâce devant toi, montre-moi ta face » (Ex 33,13s), et le psalmiste : « Montre-moi ton visage » (cf 79,4)...

      Dieu donc, connaissant le désir des hommes de le voir, a choisi un moyen pour se rendre visible qui soit un grand bienfait pour les habitants de la terre, sans être pour autant une déchéance vis-à-vis du ciel. La créature que Dieu avait faite sur terre semblable à lui pouvait-elle passer au ciel pour peu honorable ? « Faisons l'homme à notre image et ressemblance » avait-il dit (Gn 1,26)... Si Dieu avait emprunté au ciel la forme d'un ange, il serait demeuré tout autant invisible ; par contre, si sur terre il s'était incarné dans une nature inférieure à celle de l'homme, il aurait fait injure à la divinité et rabaissé l'homme au lieu de l'élever. Que personne donc, frères très chers, ne considère comme une injure portée à Dieu le fait qu'il soit venu aux hommes par un homme, et qu'il ait trouvé chez nous ce moyen d'être vu de nous.

Sermon 147, sur le mystère de l'Incarnation
(trad. coll. Icthus, vol. 8, p. 114)

« Ceux-là ont touché leur récompense »

 

      « Évitez de pratiquer votre justice devant les hommes. » Pourquoi ? « Pour ne pas être remarqué par eux. » Et s'ils vous ont remarqué, qu'en sera-t-il pour vous ? « Vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est aux cieux. » Frères, ici le Seigneur ne porte pas de jugement, mais il expose. Il met en lumière la ruse de nos pensées ; il met à nu les dispositions secrètes des âmes. À ceux qui méditent injustement sur la justice, il indique la mesure d'une juste rétribution. La justice qui se place devant les yeux des hommes ne peut pas attendre du Père son salaire divin. Elle a voulu être vue, et elle a été vue ; elle a voulu plaire aux hommes, et elle a plu. Elle a le salaire qu'elle a voulu ; la récompense qu'elle n'a pas voulu avoir, elle ne l'aura pas...

 « Quand tu fais l'aumône, ne le claironne pas devant toi, comme font les hypocrites. » « Claironner », c'est le terme juste, parce qu'une aumône de cette sorte est un acte guerrier plutôt que pacifique. Elle passe tout entière dans son cri, elle n'a rien à voir avec la miséricorde. Elle est du pays de la désunion, elle n'a pas été nourrie par la bonté. C'est un trafic pour la parade, non un commerce chaste...

« Toi donc, quand tu fais l'aumône, ne le claironne pas devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues ou dans les rues, afin d'être glorifié par les hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont touché leur récompense. » Vous avez entendu : l'aumône faite dans une assemblée, sur les places publiques, dans les carrefours, n'est pas une dépense faite pour le soulagement des pauvres, mais elle est placée devant le regard des hommes pour s'attirer leur estime... Fuyons l'hypocrisie, mes frères, fuyons-la... Elle ne soulage pas le pauvre ; la plainte de l'indigent lui est un prétexte pour rechercher plus activement une gloire spectaculaire. Elle gonfle sa louange de la souffrance du pauvre.

Sermon 9 ; CCL 24,64 ; PL 52, 211
(trad. Matthieu commenté, DDB 1985, p. 50 rev.)

« L'enfant n'est pas morte : elle dort »

 

      Toute lecture d'évangile nous est d'un grand profit aussi bien pour la vie présente que pour la vie future. Mais plus encore l'évangile de ce jour, car il contient la totalité de notre espérance et bannit tout motif de désespoir... Un chef de la synagogue conduisait le Christ auprès de sa fille et donnait en même temps l'occasion à une femme qui souffrait d'hémorragie de venir trouver Jésus... Le Christ connaissait l'avenir et n'ignorait pas que cette femme viendrait à sa rencontre. C'est elle qui ferait comprendre au chef des juifs que Dieu n'a pas besoin de se déplacer, qu'il n'est pas nécessaire de lui montrer le chemin ni de solliciter sa présence physique. Il faut croire, au contraire, que Dieu est présent partout, qu'il y est avec tout son être et pour toujours. Qu'il peut tout faire sans peine en donnant un ordre, qu'il envoie sa puissance sans la transporter ; qu'il met la mort en fuite par un commandement sans bouger la main ; qu'il rend la vie en le décidant, sans recourir à la médecine...

      Dès que le Christ arrive à la maison et voit que les gens pleurent la jeune fille comme une morte, il veut amener à la foi leurs coeurs incrédules. Comme eux pensaient qu'on ne pouvait pas ressusciter d'entre les morts plus facilement que sortir du sommeil, le Christ déclare que la fille était endormie et non pas morte.

      Et vraiment, pour Dieu, la mort est un sommeil. Car Dieu fait revenir un mort à la vie en moins de temps qu'un homme ne tire un dormeur de son sommeil... Ecoute ce que dit l'apôtre Paul : « Instantanément, en un clin d'oeil, les morts ressusciteront » (1Co 15,52)... D'ailleurs, comment aurait-il pu condenser dans des mots la rapidité d'un événement dans lequel la puissance divine dépasse la rapidité même? Comment le temps pourrait-il intervenir dans le don d'une réalité éternelle, non soumise au temps ?

Sermon 34 ; CCL 24, 193s
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 261)

« Jean Baptiste est venu à vous..., et vous n'avez pas cru à sa parole » (Mt 21,32)

 

« Jean Baptiste proclamait : ‘Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche’ » (Mt 3,1). (...) Bienheureux Jean qui a voulu que la conversion précède le jugement, que les pécheurs ne soient pas jugés, mais récompensés, qui a voulu que les impies entrent dans le Royaume et non sous le châtiment. (...) Quand Jean a-t-il proclamé cette imminence du Royaume des cieux ? Le monde était encore en son enfance (...) ; mais pour nous qui proclamons aujourd'hui cette imminence, le monde est extrêmement vieux et fatigué. Il a perdu ses forces ; il perd ses facultés ; les souffrances l'accablent (...) ; il crie sa défaillance ; il porte tous les symptômes de sa fin. (...)

Nous sommes à la remorque d'un monde qui s'enfuit ; nous oublions les temps à venir. Nous sommes avides d'actualité, mais nous ne tenons pas compte du jugement qui vient déjà. Nous n'accourons pas à la rencontre du Seigneur qui vient. (...)

Convertissons-nous, frères, convertissons-nous vite. (...) Le Seigneur, du fait qu'il tarde, qu'il attend encore, prouve son désir de nous voir revenir à lui, son désir que nous ne périssions pas. Dans sa grande bonté il nous adresse toujours ces paroles : « Je ne désire pas la mort du pécheur, mais qu'il se détourne de sa voie et qu'il vive » (Ez 33,11). Convertissons-nous, frères ; n'ayons pas peur de ce que le temps se fait court. Son temps à lui, l'Auteur du temps, ne peut pas être rétréci. La preuve en est ce brigand de l'Évangile qui, sur la croix et à l'heure de sa mort, a escamoté le pardon, s'est saisi de la vie et, voleur du paradis avec effraction, a réussi à pénétrer dans le Royaume (Lc 23,43).

Sermon 167 ; CCL 248, 1025 ; PL 52, 636
(in L'évangile selon Matthieu commenté par les Pères;
coll. PdF n°30; trad. B. Landry; Éd. DDB 1985, p. 35 rev.)

« Touchez-moi, regardez »

 

Après la résurrection, comme le Seigneur était entré toutes portes closes (Jn 20,19), les disciples ne croyaient pas qu'il avait retrouvé la réalité de son corps, mais supposaient que son âme seule était revenue sous une apparence corporelle, comme les images qui se présentent à ceux qui rêvent dans leur sommeil. « Ils croyaient voir un esprit »...

« Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi des pensées inquiètes s'élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds. » Voyez, c'est-à-dire : soyez attentifs. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas un songe que vous voyez. Voyez mes mains et mes pieds, puisque, avec vos yeux accablés, vous ne pouvez pas encore regarder mon visage. Voyez les blessures de ma chair, puisque vous ne voyez pas encore les œuvres de Dieu. Contemplez les marques faites par mes ennemis, puisque vous ne percevez pas encore les manifestations de Dieu. Touchez-moi, pour que votre main vous donne la preuve, puisque vos yeux sont à ce point aveuglés... Découvrez les trous de mes mains, fouillez mon côté, rouvrez mes blessures, car je ne peux pas refuser à mes disciples en vue de la foi ce que je n'ai pas refusé à mes ennemis pour mon supplice. Touchez, touchez..., cherchez jusqu'aux os, pour confirmer la réalité de la chair, et que ces blessures encore ouvertes attestent que c'est bien moi...

Pourquoi ne croyez-vous pas que je suis ressuscité, moi qui ai rappelé à la vie plusieurs morts sous vos yeux ?... Quand j'étais pendu à la croix, on m'insultait en disant : « Lui qui a sauvé les autres, il ne peut pas se sauver lui-même. Qu'il descende de la croix et nous croirons » (Mt 27,40). Qu'est-ce qui est le plus difficile, descendre de la croix en arrachant les clous ou remonter des enfers en foulant aux pieds la mort ? Voilà que je me suis sauvé moi-même, et brisant les chaînes de l'enfer, je suis remonté vers le monde d'en haut.

Sermon 31, 8ème sur la résurrection du Seigneur ;
PL 52, 427 (trad. coll. Pères dans la foi, n°96, p. 125 rev.)

« De qui est cette effigie ? »

 

Homme, pourquoi es-tu si vil à tes propres yeux, alors que tu es si précieux aux yeux de Dieu ? Pourquoi te déshonores-tu quand Dieu t'a tellement honoré ? Pourquoi te demandes-tu avec quoi tu es créé, et négliges-tu de rechercher pour quel but ? Cette demeure du monde que tu vois, n'est-elle pas tout entière bâtie pour toi ? Pour toi la lumière a jailli, afin de chasser les ténèbres ; pour toi la nuit est disposée et le jour mesuré ; pour toi le ciel brille de l'éclat du soleil, de la lune et des étoiles ; pour toi la terre se couvre de fleurs, de forêts, de fruits ; pour toi vivent dans l'air, dans les champs, dans l'eau la multitude merveilleuse de tous les animaux, de peur que la tristesse et la solitude n'assombrissent la joie de la création naissante.

Dieu t'a façonné à partir de la terre (Gn 2,7), afin que tu sois le maître des choses de cette terre, tout en partageant avec elles une nature commune. Cependant, tout terrestre que tu sois, Dieu ne t'a pas nivelé au point que tu ne sois plus au niveau des cieux, en ce qui concerne ton âme. Pour que tu aies l'intelligence en commun avec Dieu, et le corps en commun avec les animaux, Dieu t'a fait don d'une âme céleste et d'un corps terrestre ; ainsi en toi se noue une union permanente entre ciel et terre.

Ton Créateur cherche encore ce qu'il pourrait ajouter à ton élévation : voilà qu'il va jusqu'à déposer en toi son image (Gn 1,26), afin que cette image visible rende le Créateur invisible présent sur terre. (...) S'il en est ainsi, comment considérer comme un déshonneur que Dieu, dans sa bonté, accueille en lui-même ce qu'il a créé en toi et qu'il veuille apparaître en réalité sous l'aspect de l'homme ? (...) La Vierge a conçu et elle a enfanté un fils (Mt 1,23-25).

Sermon 148; PL 52, 596 (in L'année en fêtes; coll. Bibliothèque n°3;
trad. Les Bénédictines de la Rochette; Éd. Migne 2000, p. 51 rev.)

« Aussitôt, la barque atteignit le rivage où ils se rendaient »

 

Le Christ monte dans une barque : n'est-ce pas lui qui a découvert le lit de la mer après avoir rejeté ses eaux, afin que le peuple d'Israël passe à pied sec comme en une vallée ? (Ex 14,29) N'est-ce pas lui qui a affermi les vagues de la mer sous les pieds de Pierre, de sorte que l'eau fournisse à ses pas un chemin solide et sûr ? (Mt 14,29)

Il monte dans la barque. Pour traverser la mer de ce monde jusqu'à la fin des temps, le Christ monte dans la barque de son Église pour conduire ceux qui croient en lui jusqu'à la patrie du ciel par une traversée paisible, et faire citoyens de son Royaume ceux avec qui il communie en son humanité. Certes, le Christ n'a pas besoin de la barque, mais la barque a besoin du Christ. Sans ce pilote venu du ciel, en effet, la barque de l'Église agitée par les flots n'arriverait jamais au port.

Sermon 50, 1.2.3 ; PL 52, 339-340
(trad Bouchet, Lectionnaire, p. 324 rev.)

« Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph »

 

      « Marie, sa mère, était fiancée. » Il aurait suffi de dire : Marie était fiancée. Que signifie une mère fiancée ? Si elle est mère, elle n'est pas fiancée ; si elle est fiancée, elle n'est pas encore mère. « Marie, sa mère, était fiancée » : fiancée par la virginité, mère par la fécondité. C'était une mère ne connaissant point d'homme, et pourtant qui a connu la maternité. Comment ne serait-elle mère avant d'avoir conçu, elle qui, après la naissance, est vierge et mère ? Quand n'était-elle pas mère, celle qui engendra le fondateur des temps qui a donné un commencement aux choses ?...

      Pourquoi le mystère de l'innocence céleste se destine-t-il à une fiancée, et non une vierge encore libre ? Pourquoi la jalousie d'un fiancé doit-elle mettre en péril la fiancée ? Pourquoi tant de vertu semble-t-elle péché et le salut éternel danger ?... Quel mystère étreignons-nous là, mes frères ? Pas un trait de plume, pas une lettre, pas une syllabe, pas un mot, pas un nom, pas un personnage dans l'Évangile n'est vide de sens divin. Une fiancée est choisie, afin que déjà soit désignée l'Église, fiancée du Christ, selon la parole du prophète Osée : « Je te fiancerai à moi dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et dans l'amour, je te fiancerai à moi dans la fidélité » (2,21-22). C'est pourquoi Jean dit : « Celui qui a l'épouse est l'Époux » (Jn 3,29). Et saint Paul : « Je vous ai fiancés au seul Époux comme une vierge pure à présenter au Christ » (2Co 11,2). Ô véritable épouse, l'Église, qui par la naissance virginale [du baptême], engendre une nouvelle enfance du Christ !

Sermon 146, sur Mt 1,18 ; PL 52, 591
(trad. coll. Icthus, vol. 12, p. 295 rev.)

« Pourquoi tenir ces raisonnements ? »

 

           Grâce à la foi d'autrui, l'âme du paralytique allait être guérie avant son corps. « Voyant la foi de ces gens » dit l'évangile. Remarquez ici, frères, que Dieu ne se soucie pas de ce que veulent les hommes déraisonnables, qu'il ne s'attend pas à trouver de la foi chez les ignorants..., chez les mal portants. Par contre, il ne refuse pas de venir au secours de la foi d'autrui. Cette foi est un cadeau de la grâce et elle s'accorde avec la volonté de Dieu... Dans sa divine bonté, ce médecin qu'est le Christ essaie d'attirer au salut malgré eux ceux qu'atteignent les maladies de l'âme, ceux que le poids de leurs péchés et de leurs fautes accable jusqu'au délire. Mais eux ne veulent pas se laisser faire.

            Ô mes frères, si nous voulions, si nous voulions tous voir jusqu'en son fond la paralysie de notre âme ! Nous remarquerions que, privée de ses forces, elle gît sur un lit de péchés. L'action du Christ en nous serait source de lumière. Nous comprendrions qu'il regarde chaque jour notre manque de foi si nuisible, qu'il nous entraîne vers les remèdes salutaires et presse vivement nos volontés rebelles. « Mon enfant, dit-il, tes péchés te sont remis. »

Sermon 50 ; PL 52, 339
(trad. Matthieu commenté, DDB 1985, p. 72)