Hildegarde de BINGEN
Hildegarde de BINGEN
(1098-1179)
écrits
Sainte, abbesse bénédictine
et docteur de l'Église
Le vêtement de l’âme
Lorsque les énergies de l’âme arrachent de l’esprit de l’homme les envies charnelles, le désir de Dieu soupire en lui. L’âme entrelace alors ces soupirs – la prière intérieure– comme l’abeille construit dans sa ruche un rayon de miel, ainsi se construit le palais intérieur de Dieu en l’âme. (…) Les énergies de l’âme sont d’une force immense, parce que l’homme sait et sent Dieu par leur intermédiaire, quelle que soit sa dépendance des désirs de la chair.
Le Créateur de la terre a fait de l’âme un véritable atelier, elle est pour l’homme l’instrument de toutes ses œuvres. Dieu l’a créée en conformité avec lui-même. Cette âme, œuvre de Dieu en personne, lui qui agit jusqu’au dernier jour du monde, est pour chaque homme comme une présence sacrée, divine, invisible. Après le dernier jour du monde, lorsque l’homme se sera totalement transformé en esprit, il aura une vision parfaite de la sainte divinité, de tous les esprits et de toutes les âmes.
L’âme est une énergie fructifiante, elle communique à l’homme entier son mouvement et sa vie. Comme l’homme porte un vêtement de tissus, de même l’âme se revêt de toutes les œuvres qu’elle réalise. Elle s’en sert de couverture, les bonnes comme les mauvaises. Les œuvres bonnes, lorsqu’elle aura quitté ce corps, resplendiront en elle comme un vêtement entièrement décoré avec l’éclat de l’or le plus pur, mais les mauvaises sentiront mauvais comme un habit souillé d’immondices !
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012 ; p. 213-214 ; rev.)
« C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien » (Jn 6, 63)
L’âme, du commencement à la fin de toute action, doit vénérer avec un zèle égal les sept dons de l’Esprit Saint. Au commencement de son action, elle accueille la sagesse, qu’elle possède au terme de la crainte et conserve au milieu du courage –force du cœur–, elle se garde dans les choses célestes par l’intelligence et le conseil et s’entoure dans les choses terrestres de science et de piété : celles-ci doivent être accueillies avec grand respect, car elles sont son soutien. Que l’âme veille donc d’abord à s’ouvrir à la Sagesse pour se refermer, au terme de son action, avec la timidité et la pudeur ; que, dans l’intervalle, elle s’arme de fermeté grâce à la parure de l’intelligence et du conseil, qu’elle se fortifie également par la science et la pitié.
Le mouvement de l’âme raisonnable et l’action du corps, selon ses cinq sens, suivent un seul et même chemin, parce que l’âme ne meut pas le corps plus qu’il ne peut accomplir, et que le corps n’œuvre que selon ce que l’âme met en mouvement. Les différents sens, eux, ne se séparent pas l’un de l’autre, ils se soutiennent entre eux avec une grande fermeté et éclairent l’homme tout entier, afin de le conduire soit vers le haut, soit vers le bas, suivant les choix de son âme.
La science de l’âme provoque les larmes de repentir alors que les péchés la refroidissent. Car la constance dans la droiture lui apporte, en sus des bonnes œuvres, la chaleur des désirs supérieurs. Les autres vertus viennent en aide à la fermeté pour communiquer à chaque croyant l’humeur de la sainteté –la grâce sanctifiante– : l’âme se trouve pénétrée de la rosée et de la chaleur de l’Esprit Saint, elle maîtrise la chair et elle l’entraîne à servir Dieu avec elle… Alors tous les organes intérieurs apportent leur énergie à l’âme humaine afin de la servir. Ainsi quand l’âme délaisse les péchés pour accomplir la justice, elle s’élève tout en suivant la raison.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire”;
trad. P. Dumoulin; Éditions des béatitudes; 2012; p. 211-2112; rev.)
Ô Dieu, toi qui défends ceux qui croient en toi, délivre-moi !
Ô Dieu, toi qui défends ceux qui croient en toi,
Tiens-moi en sécurité sous la protection de ta toute-puissance
Pour qu’à l’abri de tes ailes, je te prie et je t’adore dans l’action de grâce.
Jamais je ne lèverai les yeux vers une divinité qui me trahit et m’ignore
Délivre-moi donc de toute rébellion des esprits mauvais
Qui me tourmentent dans la convoitise de la chair.
Procure-moi la victoire définitive
Afin que mon âme exulte en mon corps et que j’obtienne la vie éternelle.
Prières de sainte Hildegarde
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012 ; p. 270)
Avancer sans hésitation, dans la joie de l’Esprit Saint !
Il faut que l’homme accomplisse les œuvres de justice dans la joie de l’Esprit Saint, sans marquer son hésitation dans un murmure pervers.
Il n’a donc pas à dire qu’il lui manque soit la première racine placée d’abord dans l’homme par un don de Dieu – le discernement de ce qui est bon –, soit la grâce de l’Esprit Saint qui touche cette même racine par ses conseils – le feu de la grâce qui motive la volonté. S’il agit avec une détermination joyeuse, il ne doit pas être dans l’angoisse à cause de ce qu’il a fait autrefois, poussé par un élan répréhensible comme s’il avait eu quelque chose de plus faible en sa racine intérieure. Et, s’il chute, une fois tombé dans la nécessité, il ne murmurera pas en disant en lui-même : « Hélas, hélas, qu’ai-je fait pour avoir été incapable de voir d’avance mes œuvres en Dieu ? »
Qu’il s’avance plutôt résolument sans porter le poids de son infidélité passée, de façon à ne pas se défier de Dieu dans ses actions, mais à être mis en sécurité, sans plainte larmoyante sur sa mauvaise action passée.
Le Scivias, les chemins de Dieu, chap. 4
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire”;
trad. P. Dumoulin; Éditions des béatitudes, 2012; p. 119; rev.)
Quand l’âme se transfigurera en éternité…
L’homme qui suit la voie de la folie et méprise la sagesse créatrice se condamne lui-même : n’ayant plus aucune limite dans le mal, il ignore la vie future. Il ne veut pas même savoir s’il existe une autre vie, et il refuse de scruter attentivement les causes de sa propre nature changeante. Cet homme peut encore comprendre son enfance, son adolescence, sa jeunesse et sa maturité, mais il est incapable de comprendre ce qu’il devient dans sa décrépitude et le sens de cette transformation de son être. La raison lui montre qu’il a un commencement, mais il est incapable de savoir, de comprendre comment il est possible que l’âme soit immortelle et qu’elle n’ait pas de fin… (…)
Tant qu’il est dans son corps, les pensées de l’homme se multiplient, comme se multiplient sans qu’on puisse les dénombrer les échos de la louange angélique. La pensée anime déjà la jeunesse, on la formule ensuite par la voix de sa raison et on agit en la suivant. Mais son action ne tient pas sa vie d’elle-même : elle a un commencement. L’éternité seule tire d’elle-même la vie et jamais ne faiblit : avant que le temps n’existe, elle était déjà éternelle vie. Quand l’âme se transfigurera en éternité, elle changera de nom : elle n’agira plus dans l’homme par la mode de la pensée, mais aura pour séjour les louanges des anges qui sont esprit. Si elle s’appellera alors esprit, c’est qu’elle ne peinera plus avec le corps, avec la chair. L’homme portera le nom de vie, car il est déjà vie en ce monde tant qu’il vit par le souffle de l’esprit, mais il se transfigurera en immortalité par la mort charnelle, il sera pleinement dans la vie. Après le jugement dernier, c’est par son corps et son âme qu’il sera éternellement vie.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des Béatitudes ; 2012 ; p. 220-221)
Contemple le visage de l’Amour céleste !
Dieu, Créateur de l’univers, façonna l’homme à son image et à sa ressemblance. En lui, il figura toutes les créatures, supérieures et inférieures. Il l’aima d’un tel amour qu’il lui réserva la place dont avait été expulsé l’ange déchu. Il lui attribua toute la gloire, tout l’honneur que cet ange avait perdus en même temps que son salut. Voilà ce que te montre le visage que tu contemples… cette figure symbolise l’Amour du Père céleste.
Elle est l’amour : au sein de l’énergie de la déité pérenne, dans le mystère de ses dons, elle est la merveille d’une insigne beauté. Si elle a l’apparence humaine, c’est que le Fils de Dieu a pris chair pour arracher l’homme à la perdition, grâce au service de l’amour. Voilà pourquoi ce visage est d’une telle beauté et d’une telle clarté : c’est celui de l’éternelle beauté, de l’éternel amour. Il te serait plus facile de contempler le soleil que de contempler ce visage. La profusion de l’amour, en effet, rayonne, étincelle d’une brillance si sublime, si fulgurante, qu’elle dépasse, d’une manière inconcevable à nos sens, tous les actes de la compréhension humaine qui, d’habitude, assurent dans l’âme la connaissance des sujets les plus divers.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des Béatitudes ; 2012 ; p. 202-203 ; rev.)
Salut, toi en qui Dieu trouva sa complaisance
Salut, Enfant Généreuse, Glorieuse, Immaculée !
Pupille de chasteté, substance de sainteté, ô Plaisir de Dieu !
En toi s’est répandue l’effusion céleste par laquelle le Verbe souverain, en toi, a revêtu la chair.
Lys étincelant que Dieu admirait avant toute créature, Toi la plus belle et la plus douce, toi, en qui Dieu trouva sa complaisance lorsqu’il déposa en toi toute l’ardeur de sa chaleur pour que, de toi, Son Fils goûte le lait maternel.
Ton sein fut alors rempli d’allégresse, toute la symphonie céleste a résonné en toi.
Car, Vierge, tu portais le Fils de Dieu et ta pureté a été magnifiée en Dieu.
Tes entrailles se sont réjouies comme une herbe inondée de rosée recevant d’elle sa verdeur.
Ainsi advint-il en ton sein, Mère de toute joie !
Que l’Église, désormais, resplendisse de joie, qu’elle retentisse en harmonie chantant la Vierge toute douce, Marie l’admirable, la Mère de Dieu ! Amen.
Prières de sainte Hildegarde
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012 ; p. 270 ; rev.)
« Votre peine se changera en joie » (Jn 16, 20)
[Sainte Hildegarde présente une vision où vice et vertu se répondent :]
– Tristesse : « Hélas, pourquoi ai-je été créée, pourquoi suis-je en vie ? Qui m’aidera ? Qui me libèrera ? Si Dieu me connaissait, je ne courrais pas tant de dangers. J’ai beau me fier à Dieu, il ne m’a pas donné le bonheur. J’ai beau me réjouir avec lui, il n’éloigne pas de nous le malheur… S’il est mon Dieu, pourquoi me prive-t-il de sa grâce ? S’il me donnait quelque bien, je le saurais. Or, je ne sais ce que je suis. Créé dans le malheur, née dans le malheur, je vis sans aucune consolation. Ah ! À quoi sert une vie sans joie ? »
– Joie céleste : « Dieu a créé l’homme plein de lumière… Considère quelle prospérité Dieu a donné à l’homme ! Qui te donne ce que tu as, si ce n’est Dieu ? Quand le salut est là pour toi, tu dis que c’est une malédiction et quand tout va bien pour toi, tu dis que tout va mal. Je loue toutes les œuvres de Dieu qui sont pour toi source de chagrin. Alors que toi, tu es triste en toutes tes actions, moi, je confie toutes mes actions à Dieu car dans une certaine tristesse, il y a de la joie et dans une certaine joie, il n’y a aucun profit…
(…) Sans le souffle spirituel, toutes les forces vives se dessèchent. Une âme triste reçoit tout avec tristesse et ne désire y trouver aucune joie, elle n’appelle pas un ami avec joie, ne calme pas un ennemi, mais se cache dans le trou du chagrin parce qu’elle a peur de tous ceux qui passent. Elle est comme morte puisqu’elle n’aspire pas au ciel.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des Béatitudes ; 2012 ; p. 188)
Persévérer avec confiance dans la béatitude
Toutes les vertus ont des fonctions diverses, mais elles ont un but unique : la béatitude. Les vertus procèdent en effet l’une de l’autre lors de la formation de la droiture. Toutes ces vertus sont dans la science de Dieu (connaissance intérieure et intime), elles tendent vers cette science et assistent l’homme dans ses nécessités aussi bien spirituelles que corporelles. Lorsque la crainte du Seigneur inspire l’homme, il commence à honorer son Dieu et progresse dans la sagesse en accomplissant des œuvres bonnes et justes.
La confiance de l’homme envers Dieu touche ce dernier par sa constance car, dans la mesure où il a une constante confiance en Dieu, il élève sans cesse ses pensées vers lui : c’est par leur constance que les esprits des fidèles acquièrent la force. (…) La foi confiante attire à elle toutes les vertus et fait couler dans le vase (cœur) le vin (l’Esprit) qui sert de boisson aux hommes. Voilà pourquoi les croyants exultent de joie, confiants dans l’espérance de la vie éternelle. Ils portent comme étendards les bonnes œuvres qu’ils ont accomplies.
Assoiffés de la justice divine, ils sucent à son sein la sainteté et jamais ne peuvent être rassasiés s’ils ne se délectent sans cesse de la contemplation de Dieu, puisque la sainteté dépasse l’entendement des hommes. Lorsque l’homme accueille la rectitude, cherche à vivre selon sa vérité, il s’oublie lui-même, goûte et boit les vertus qui le rendent fort, comme le vin emplit les veines d’un buveur, mais lui ne risque jamais de devenir esclave du vice de démesure, comme l’homme ivre de vin est hors de lui-même et ne prête plus attention à ce qu’il fait. Car les hommes de foi aiment Dieu et cet amour ignore la lassitude, il est persévérance dans la béatitude.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des Béatitudes ; 2012 ; p. 206 ; rev.)
Une charité ardente comme les rayons du soleil
Ô mes très chers fils dont l’odeur m’est plus douce que tous les aromates, écoutez mon avertissement pendant que vous avez le temps de choisir entre le bien et le mal, et adorez votre Dieu avec une sincère dévotion. Ô vous, je le répète, mes fils très doux qui vous élevez comme l’aurore, vous dont la charité doit être ardente comme les rayons du soleil, courez et hâtez-vous, mes très chers, sur la voie de la vérité qui est lumière du monde, Jésus-Christ, Fils de Dieu…
Toutes les vertus sont parfaitement à l’œuvre dans le Fils de Dieu incarné, qui a laissé les traces du chemin du salut, si bien que, petit ou grand parmi les fidèles, l’homme puisse trouver en lui la marche adaptée sur laquelle poser son pied pour faire l’ascension des vertus, de façon à parvenir aux meilleurs emplacements, où l’on agit grâce aux vertus.
Le Scivias, les chemins de Dieu, chap. 4
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012 ; p. 125)
Comment travailles-tu le champ de ton cœur ?
À celui qui, de bon cœur, accepte volontiers la semence de mes paroles, j’accorde en surabondance les dons de l’Esprit Saint, comme à un bon champ. Mais celui qui parfois la reçoit, parfois la refuse, est comme un champ qui tantôt reverdit et tantôt se dessèche.
Montre-moi comment tu travailles le champ de ton cœur et comment tu le cultives ! Si ton travail intérieur me plaît, je te donnerai une excellente récolte. C’est selon ton travail que sera ta récolte et ta récompense. Est-ce que je donne du fruit à la terre sans travail ? De même, je ne t’en donnerai pas, ô homme, sans la sueur que je te demande. Car tu as reçu de moi ce qui te permet de travailler ton âme.
Certains pensent qu’ils peuvent être tout ce qu’ils veulent, refusant d’examiner ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent faire, sans consulter Celui qui les a formés et qui est leur Dieu… ils veulent traiter Dieu comme un domestique qui accomplisse entièrement leur volonté. Dès lors, je ne veux pas accorder mes dons ni ensemencer un champ vide en un homme qui essaie de s’unir à moi avec cet orgueil, en faisant comme si, dans l’aliénation de son ignorance, il ne me connaissait pas…
Ô homme, pourquoi n’as-tu pas regardé le champ de ton âme pour y enlever les herbes inutiles, les épines et les ronces, en m’invoquant et en t’examinant toi-même, avant de venir à moi comme si tu étais ivre, fou et en t’ignorant toi-même, puisque tu ne peux achever aucune œuvre de lumière sans mon secours ? (…) Sans moi, tu ne peux rien faire…
Le Scivias, les chemins de Dieu, chap. 4
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012 ; p. 127-128)
Combattre pour rester dans le vrai Dieu
[Sainte Hildegarde présente une vision où vice et vertu se répondent :]
– La lâcheté : « Je ne prendrai aucun risque, de peur d’être exilée et privée de protecteur. Si je m’exposais aux offenses des autres, je perdrais mes moyens d’existence et serais privée de mes amis. J’honore les nobles et les riches, je ne m’occupe pas des saints et des pauvres, puisqu’ils ne peuvent rien me donner. Je veux être en paix avec tous pour ne pas risquer de périr. Si je me battais, on riposterait ; si je faisais du mal, on m’en ferait encore plus. Je me tiendrai donc tranquille : qu’on me fasse bien ou mal, je me tairai. Il vaut mieux parfois pour moi mentir et tromper que dire la vérité ; il vaut mieux gagner que perdre et éviter les forts que les combattre. À quoi bon entreprendre ce que je pourrai ne pas achever ? (…) »
– Victoire [ou courage chrétien] : « En divaguant, abrutie par la peur, tu es partie en exil et tu as trompé l’homme… Tu n’as aucune honnêteté. Moi, je tiens le glaive des vertus de Dieu avec lequel je pourfends les injustices… Je ne veux pas d’une vie croupissant dans la poussière et les vanités de ce monde, mais je désire venir à la source jaillissante… Je combats le vieux serpent et ses dépouilles avec le mystère de la Divinité Écriture pour rester dans le vrai Dieu… »
La lâcheté suit la dureté comme une vilaine tache. L’homme lâche ne veut pas s’opposer aux vices, mais les attire par sa paresse. Les imbéciles, dans leur insignifiance, se croient honnêtes alors qu’ils aiment l’oisiveté, ne pensent à faire aucun bien, mais se tournent vers la médisance, s’attachent lâchement aux insinuations et aux calomnies et les développent au point que cela occupe complètement leur cœur. Ils échangent la confiance qu’ils devraient avoir en l’aide de Dieu et des hommes contre leur plaisir.
Le Livre des Œuvres divines, chap. 6
(in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des Béatitudes ; 2012 ; p. 162 ; rev.)
L’amour du Ciel doit passer avant tout autre souci
L’amour céleste… consiste pour l’homme à connaître et à reconnaître Dieu en l’aimant plus que tout. Cet amour proclame : « Douce vie et douce étreinte de la vie éternelle, bienheureuse félicité dans laquelle résident les récompenses éternelles, toi qui es toujours faite de véritables délices, si bien que jamais, en fait, je ne puis être remplie ni rassasiée de la joie intérieure qui est en mon Dieu. » L’amour du Ciel doit passer avant tout autre souci. Et chaque œuvre bonne est formée de deux parties : l’amour de Dieu et l’amour de l’homme.
La discipline suit l’amour du Ciel. Elle est comme un enfant, puisqu’elle ne veut pas être puissante en accomplissant sa propre volonté, mais qu’elle veut rester fidèlement dans la crainte, la retenue et le respect. Par la foi en l’amour, l’homme se lie lui-même dans la loi de la discipline. (…) La vertu de miséricorde se lève pour aller vers les pauvres. Car la miséricorde de sa grâce se trouve dans le cœur du Père éternel. J’ai placé mon Fils dans la poitrine de la miséricorde, lorsque je l’ai envoyé dans le sein de la Vierge Marie. L’homme, justifié par les vertus, devient capable de regarder la misère de son prochain et de l’aider comme lui-même dans les vrais besoins. La miséricorde murmure : « Je tends toujours les mains vers les étrangers, les malheureux, les pauvres, les infirmes et ceux qui gémissent. » Après la miséricorde surgit la victoire par laquelle l’homme est vainqueur de lui-même et des vices d’autrui. (…) Enfin, la patience et le gémissement de l’âme possèdent une douceur qui empêche l’homme d’être écrasé par les épreuves.
Libre de tout souci du siècle, il se tourne vers ce qui est éternel en Dieu dans la vie future.
Le Scivias, les chemins de Dieu, chap. 4 (
in “Hildegarde de Bingen, Prophète et docteur pour le troisième millénaire” ;
trad. P. Dumoulin ; Éditions des béatitudes ; 2012; p. 117-119)