Chapitre vingt-et-unième — Du sacrement de Pénitence
La faiblesse et la fragilité de la nature humaine sont assez connues, et chacun en éprouve assez les effets en soi-même, pour que personne ne puisse ignorer combien le sacrement de Pénitence est nécessaire. Si donc le zèle que les Pasteurs sont obligés d’apporter dans leurs explications, doit se mesurer sur la grandeur et l’importance de la matière qu’ils traitent, nous conviendrons volontiers qu’ils ne pourront jamais paraître assez empressés à faire connaître le sujet que nous abordons. Le sacrement de Pénitence demande même à être expliqué avec plus de soin que le Baptême, car le Baptême ne s’administre qu’une seule fois et ne peut se réitérer, tandis que le sacrement de Pénitence devient nécessaire, et veut être renouvelé, toutes les fois que l’on tombe dans le péché après le Baptême. C’est ce qui a fait dire au Concile de Trente que la Pénitence n’est pas moins nécessaire pour le salut à ceux qui pèchent après le Baptême, que le Baptême à ceux qui ne sont pas encore régénérés. De là aussi cette parole si remarquable de Saint Jérôme, parole approuvée ensuite sans réserve par tous ceux qui ont écrit sur cette matière : « La pénitence est une seconde planche [1]. » En effet, lorsque le vaisseau se brise, l’unique ressource pour sauver sa vie, c’est de pouvoir saisir une planche au milieu du naufrage ; ainsi, quand on a perdu l’innocence baptismale, si on n’a pas recours à la planche de la pénitence, il n’y a plus de salut possible. Et ce que nous disons ici ne s’adresse pas seulement aux Pasteurs, mais aux Fidèles eux-mêmes qui ont besoin qu’on excite leur zèle, afin qu’on n’ait jamais à blâmer en eux d’incurie pour une chose aussi nécessaire. Pénétrés de la fragilité humaine, leur premier et plus ardent désir doit être de marcher dans la voie de Dieu, avec le secours de sa Grâce, sans faux pas et sans chute. Mais cependant s’ils viennent à tomber quelques fois, qu’ils tournent alors leurs regards vers l’infinie bonté de Dieu, qui, comme un bon Pasteur, daigne panser les plaies de ses brebis et les guérir, et qu’ils comprennent que le remède si salutaire du sacrement de Pénitence ne doit pas être renvoyé à un autre temps.
Mais pour entrer immédiatement en matière, il convient d’expliquer d’abord les différentes significations du mot de Pénitence, afin que l’ambiguïté de cette expression n’induise personne en erreur. Les uns prennent la Pénitence pour la Satisfaction. D’autres, d’un sentiment tout opposé à la doctrine de la Foi catholique, prétendent que la Pénitence n’est autre chose qu’une vie nouvelle, sans repentir du passé. Voilà pourquoi il faut montrer que ce mot a plusieurs sens différents.
Premièrement, on dit de quelqu’un qu’il se repent lorsqu’une chose qui lui était agréable auparavant, commence à lui déplaire ; que cette chose soit bonne ou mauvaise, peu importe. tel est le repentir de ceux « dont la tristesse est selon le monde [2] », et non selon Dieu ; repentir qui opère la mort, et non le salut.
Un autre repentir, c’est la douleur que l’on éprouve non pas à cause de Dieu, mais à cause de soi-même, après avoir commis une mauvaise action, qui auparavant nous souriait.
Un troisième repentir enfin, est celui qui ne se borne pas au regret sincère et profond du mal que l’on a fait, ni même à des signes extérieurs qui expriment ce regret, mais qui vient principalement ou uniquement de ce que nous avons offensé Dieu.
Le nom de Pénitence convient également à ces trois sortes de repentir.
Mais quand nous lisons dans les Saintes Ecritures que Dieu se repentit [3], évidemment ce n’est là qu’une métaphore. Cette manière de parler est toute humaine et conforme à nos habitudes. Nos Livres Saints l’emploient pour exprimer que Dieu a résolu de changer quelque chose, parce qu’en cela Dieu semble ne pas agir autrement que les hommes qui, après avoir fait une chose dont ils se repentent, travaillent de toutes leurs forces à la changer. C’est dans ce sens qu’il est écrit que Dieu « se repentit d’avoir créé l’homme [4] », — « et d’avoir fait roi Saül [5]. »
Cependant il faut observer une grande différence entre ces trois sortes de Pénitence. La première est un défaut ; la seconde n’est que l’affliction d’une âme agitée et troublée. Et la troisième est tout ensemble une Vertu et un sacrement. C’est dans ce dernier sens que nous allons entendre ici le mot de Pénitence.
Mais d’abord nous avons à parler de la Pénitence considérée comme vertu non seulement parce que les Pasteurs sont obligés de former les Fidèles à toutes les vertus en général, mais encore parce que les actes de cette vertu sont comme la matière sur laquelle s’exerce l’action du sacrement de Pénitence. Et de fait, si l’on ne connaît d’abord la vertu de Pénitence, il est impossible de jamais bien comprendre l’efficacité du Sacrement.
En premier lieu on doit donc exhorter les Fidèles à faire tous leurs efforts et à déployer toute leur ardeur pour obtenir ce repentir du cœur, que nous appelons la vertu de Pénitence. Sans lui, la Pénitence extérieure est peu profitable. Or cette Pénitence intérieure consiste à retourner à Dieu du fond du cœur, à détester sincèrement les péchés que nous avons commis, et à être fermement décidés et absolument résolus à réformer nos mauvaises habitudes et nos mœurs corrompues. Mais en même temps nous devons avoir l’espérance que Dieu nous pardonnera, et nous fera miséricorde. A cette Pénitence vient toujours se joindre, comme inséparable compagne de la détestation du péché, une douleur, une tristesse, qui est une véritable émotion, un trouble, et même une passion, comme plusieurs l’appellent. Voilà pourquoi quelques saints Pères définissent la Pénitence par ces sortes de tourments de l’âme. Cependant il est nécessaire que la Foi précède la Pénitence. Personne sans la Foi ne peut se convertir à Dieu. D’où il suit qu’on ne peut en aucune façon considérer la Foi comme une partie de la Pénitence. Mais que cette Pénitence intérieure soit une vertu, comme nous l’avons dit, c’est ce que démontrent clairement les nombreux Commandements que Dieu nous en fait. Car la Loi ne prescrit que les actes qui s’accomplissent par vertu. Or, personne ne peut nier qu’il ne soit bon et louable de se repentir quand, comment, et comme il le faut. Et c’est là précisément ce qui fait la vertu de Pénitence.
Il arrive quelquefois que les hommes n’ont pas un repentir proportionné à leurs péchés ; et même, comme le dit Salomon [6]: « Il y en a qui se réjouissent, lorsqu’ils ont fait le mal. » D’autres, au contraire, s’abandonnent à tel point au chagrin et à la désolation, qu’ils viennent à désespérer entièrement de leur salut. Tel semble avoir été Caïn, qui disait [7]: « Mon crime est trop grand pour obtenir le pardon. » Et tel fut certainement Judas [8] que « le repentir de son crime conduisit à se pendre lui-même, » perdant ainsi la vie et son âme tout ensemble. La vertu de Pénitence nous aide donc à garder une juste mesure dans notre douleur.
Ce qui prouve encore que la Pénitence est une vertu, c’est la fin que se propose celui qui se repent véritablement de son péché. Il veut d’abord effacer sa faute et laver toutes les taches et toutes les souillures de son âme. Ensuite il désire satisfaire à Dieu pour ses iniquités. Or c’est là évidemment un acte de justice. Car s’il ne peut y avoir de justice stricte et rigoureuse entre Dieu et les hommes, puisqu’ils sont séparés par un intervalle infini, cependant il est certain qu’il existe entre eux une sorte de justice, que l’on peut comparer à celle que nous trouvons entre un père et ses enfants, entre un maître et ses serviteurs.
La troisième fin que se propose celui qui se repent, c’est de rentrer en grâce avec Dieu, dont il a encouru l’inimitié et la disgrâce par la laideur de son péché. toutes choses qui montrent assez que la Pénitence est véritablement une vertu.
Mais il est nécessaire d’apprendre aux Fidèles par quels degrés on peut s’élever jusqu’à cette vertu divine.
D’abord la miséricorde de Dieu nous prévient, et tourne nos cœur s vers Lui, pour nous convertir. C’est cette grâce que demandait le Prophète, quand il disait [9] : « Convertissez-nous à vous, Seigneur, et nous serons convertis ! »
Ensuite illuminés par cette lumière, nous tendons vers Dieu par la Foi. Car comme l’Apôtre nous l’assure [10] : « Celui qui veut aller à Dieu doit croire qu’il existe, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. »
Puis viennent les mouvements de crainte, c’est alors que frappé par la considération des supplices rigoureux qu’il a mérités, le pécheur détache son cœur du péché. C’est à cet état d’âme que semblent se rapporter ces paroles d’Isaïe: [11] « Nous sommes devenus comme celle qui approche du temps où elle doit enfanter, et qui crie au milieu des douleurs qu’elle ressent. »
A ces sentiments se joint l’espérance d’obtenir miséricorde du Seigneur, espérance qui nous relève de notre abattement, et nous fait prendre la résolution d’amender notre vie et nos mœurs.
Enfin la Charité enflamme nos cœur s et fait naître en nous cette crainte filiale qui convient à des enfants généreux et bien nés. Dés lors ne craignant plus qu’une seule chose, qui est de blesser en quoi que ce soit la majesté de Dieu, nous abandonnons entièrement l’habitude du péché.
Tels sont les degrés par lesquels on parvient à cette sublime vertu de la Pénitence, vertu qui doit être à nos yeux toute céleste et toute divine, car la sainte Ecriture lui promet le Royaume des cieux. Ainsi il est écrit dans Saint Matthieu: [12] « Faites pénitence, car le Royaume des cieux est proche. » Et dans Ezéchiel: [13] « Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis ; s’il garde tous mes préceptes ; s’il accomplit le jugement et la justice, il vivra et ne mourra point. » Et dans un autre endroit: [14] « je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse de sa voie, et qu’il vive » Or, toutes ces paroles doivent évidemment s’entendre de la Vie Eternelle et bienheureuse.
Quant à la Pénitence extérieure, il faut enseigner que c’est elle qui constitue, à proprement parler, le Sacrement, et qu’elle consiste dans certaines actions extérieures et sensibles qui expriment ce qui se passe dans l’intérieur de l’âme. Mais avant tout il nous semble qu’il faut instruire les Fidèles des raisons pour lesquelles Notre-Seigneur Jésus-Christ a placé la Pénitence au nombre des Sacrements. Or la raison principale a été certainement de lever tous les doutes que nous aurions pu concevoir sur la rémission de nos péchés. Quoique Dieu en effet nous l’ait promise (cette rémission) dans ces paroles du Prophète [15]: « Si l’impie fait pénitence, etc., », nous n’en serions pas moins dans de continuelles inquiétudes sur la vérité de notre repentir, car personne ne peut se fier au jugement qu’il porte sur ses propres actions. C’est donc pour détruire toute inquiétude à cet égard, que notre Seigneur a fait de la Pénitence un Sacrement capable de nous donner la confiance que nos péchés nous sont pardonnés par l’absolution du Prêtre, et par suite de mettre plus de calme dans notre conscience par cette Foi légitime que nous devons avoir dans la vertu des Sacrements. Lorsqu’en effet le Prêtre nous absout de nos fautes suivant la forme du Sacrement, ses paroles n’ont point d’autre sens que celles de Notre-Seigneur au paralytique [16]: « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis ! »
En second lieu, personne ne peut obtenir le salut que par Jésus-Christ, et par les mérites de sa Passion. Il était donc très convenable en soi, et très utile pour nous qu’il y eût un Sacrement qui ferait couler sur nos âmes le Sang de Jésus-Christ ; un Sacrement qui par sa vertu et son efficacité serait capable d’effacer tous les péchés commis après le Baptême, et nous obligerait à reconnaître que c’est à notre divin Sauveur, et à Lui seul, que nous devons le bienfait de notre réconciliation.
Or, que la Pénitence soit un véritable Sacrement, c’est ce que les Pasteurs n’auront pas de peine à démontrer. Le Baptême est un Sacrement parce qu’il efface tous les péchés, et spécialement celui que nous contractons à notre origine. Par la même raison, la Pénitence qui efface tous les péchés de désirs et d’actions volontairement commis après le Baptême, doit être un véritable Sacrement, au sens propre du mot. D’ailleurs, (et c’est ici la raison principale), dès lors que ce que le Prêtre et le pénitent font au dehors et d’une manière sensible, exprime nettement les effets qui s’opèrent dans l’âme, qui oserait soutenir que la Pénitence ne renferme pas toutes les propriétés d’un véritable Sacrement ? Un Sacrement est le signe d’une chose sacrée. Or, d’une part, le pécheur qui se repent exprime très bien par ses paroles et par ses actions qu’il a détaché son cœur du péché, et d’autre part les paroles et les actions du Prêtre expriment aussi sensiblement que Dieu, par sa miséricorde, remet Lui-même les péchés. Au reste une preuve évidente de cette vérité se trouve dans ces paroles du Sauveur [17]: « Je vous donnerai les clefs du Royaume des cieux ; et dans celles-ci: Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel. » Car l’absolution prononcée par le Prêtre exprime la rémission des péchés qu’elle produit dans l’âme.
Mais il ne suffit pas d’apprendre aux Fidèles que la Pénitence est un Sacrement, ils doivent savoir encore qu’elle est du nombre de ceux qui peuvent se réitérer. L’Apôtre Saint Pierre ayant demandé à Notre-Seigneur si l’on pouvait accorder jusqu’à sept fois le pardon d’un péché, reçut cette réponse [18] « Je ne vous dis pari jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. » Si donc on doit traiter avec des personnes qui paraissent se défier de la bonté et de la clémence infinie de Dieu, il faut raffermir leur courage, et relever leurs espérances vis-à -vis de la Grâce divine. Et l’on obtiendra facilement ce but, soit en leur citant ce passage que nous venons de rappeler, et une foule d’autres qui se rencontrent si souvent dans la sainte Ecriture, soit en empruntant les arguments et les raisons de Saint Jean Chrysostome, dans son livre: De ceux qui sont tombés, et ceux de Saint Ambroise, dans ses traités: De la Pénitence.
Rien ne doit être plus connu des Fidèles que la matière du Sacrement de Pénitence. Il faut donc leur faire remarquer que la grande différence entre ce Sacrement et les autres, c’est que la matière de ces derniers est toujours une chose naturelle ou artificielle, tandis que les actes du pénitent, la Contrition, la Confession, et la Satisfaction sont, dit le Concile de Trente, comme la matière de ce Sacrement. Et ces actes sont nécessaires, de la part du pénitent, pour l’intégrité du Sacrement, et pour l’entière rémission des péchés. Ceci est d’institution divine. Aussi bien les actes dont nous parlons sont regardés comme les parties mêmes de la Pénitence. Et si le saint Concile dit simplement qu’ils sont comme la matière du Sacrement, ce n’est pas à dire qu’ils ne sont pas la vraie matière ; mais c’est qu’ils ne sont pas du genre des autres matières sacramentelles, lesquelles se prennent au dehors, comme l’eau dans le Baptême et le chrême dans la Confirmation. Que si quelques-uns ont regardé les péchés eux-mêmes comme la matière du sacrement de Pénitence, leur sentiment ne paraît pas contraire au nôtre, si l’on veut y regarder de près. De même que nous disons du bois, qu’il est la matière du feu, parce que le feu le consume ; ainsi nous pouvons très bien dire des péchés, qu’ils sont la matière de la Pénitence, puisque ce Sacrement les efface et les consume en quelque sorte.
Les Pasteurs ne doivent pas négliger non plus d’instruire les Fidèles de la forme de ce Sacrement. Cela ne peut qu’exciter davantage leur ferveur quand ils voudront le recevoir, et leur inspirer plus de respect et de vénération pour s’en approcher. Or voici cette forme: Je vous absous. On pourrait déjà la tirer de ces paroles du Sauveur [19] : « Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel. » Mais les Apôtres nous l’ont transmise comme l’ayant reçue de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même. D’ailleurs puisque les Sacrements signifient ce qu’ils produisent, ces paroles: Je vous absous, montrent très bien que la rémission des péchés s’opère par l’administration de ce Sacrement ; par conséquent il est clair qu’elles en sont la forme complète. Les péchés, en effet, sont comme des liens qui tiennent nos âmes enchaînées, et que le sacrement de Pénitence vient briser. Et le Prêtre ne dit pas moins la vérité, lorsqu’il prononce ces paroles sur un pénitent qui par la vivacité d’une Contrition parfaite, accompagnée du vœu de la Confession, a déjà obtenu de Dieu le pardon de ses péchés.
A ces paroles, on ajoute plusieurs prières qui ne sont pas nécessaires pour la forme du Sacrement, mais qui ont pour but d’écarter tout ce qui pourrait empêcher sa vertu et son efficacité par la faute de celui auquel il est administré.
Quelles actions de grâces ne doivent donc point rendre à Dieu les pécheurs, de ce qu’Il a donné un si grand pouvoir aux Prêtres de son Eglise ? Il ne s’agit plus maintenant comme autrefois, sous la Loi ancienne, du témoignage du Prêtre qui se bornait à déclarer que le lépreux était guéri. non, le pouvoir des Prêtres dans l’Eglise est si étendu qu’ils ne se contentent pas de déclarer que le pécheur est absous de ses péchés, mais qu’ils donnent réellement, comme Ministres du Seigneur, l’Absolution qui est ratifiée en même temps par Dieu Lui-même, Auteur et Principe de la grâce et de la justification.
Quant aux rites prescrits pour la réception de ce Sacrement, les Fidèles auront soin de s’y conformer exactement. Par là ils graveront plus profondément dans leurs cœur s le souvenir de ce qu’ils lui devront, c’est-à-dire la grâce d’avoir été réconciliés, comme des serviteurs avec le plus doux des maîtres, ou plutôt comme des enfants avec le meilleur des pères ; et puis ils comprendront mieux aussi comment ceux qui le veulent, (et tous doivent le vouloir), peuvent prouver à Dieu leur reconnaissance pour un si grand bienfait.
Tout pécheur qui se repent, doit donc en premier lieu se jeter aux pieds du Prêtre, avec des sentiments d’humilité et d’abaissement, afin qu’en s’humiliant ainsi, d’une part il apprenne à reconnaître plus aisément qu’il doit arracher de son cœur jusqu’à la racine de l’orgueil qui a été la source et le principe de toutes les fautes qu’il déplore, et d’autre part qu’il sache révérer dans le Prêtre, qui est son juge légitime, la Personne et la puissance de Jésus-Christ Lui-même. Car dans l’administration du sacrement de Pénitence, comme dans tous les autres Sacrements, le Prêtre tient la place de Notre-Seigneur.
Puis il confessera tous ses péchés les uns après les autres, de manière à convenir qu’il mérite les châtiments les plus grands et les plus rigoureux. Ensuite, il implorera le pardon de ses fautes. nous trouvons dans Saint Denys les témoignages les plus formels sur l’antiquité de toutes ces pratiques.
Mais rien ne sera plus utile aux Fidèles, rien ne leur donnera plus d’empressement à recevoir le sacrement de Pénitence que d’entendre les Pasteurs expliquer souvent les grands avantages que nous en retirons. Ils comprendront alors que la Pénitence est comme un arbre, dont les racines sont amères, mais dont les fruits sont pleins de douceur.
Et d’abord la Pénitence possède la vertu de nous rétablir dans la grâce de Dieu, et de nous unir à Lui par une étroite amitié.
Ensuite cette réconciliation produit ordinairement chez les personnes pieuses, qui reçoivent ce Sacrement avec Foi et piété, une paix profonde, une tranquillité parfaite de conscience, et des joies ineffables de l’Esprit Saint.
Il n’y a point d’ailleurs de crime si grand et si horrible, qui ne puisse être effacé par le sacrement de Pénitence, non seulement une fois, mais deux fois, mais toujours. Dieu Lui-même nous en donne l’assurance par ces paroles du prophète: [20] « Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis, s’il garde mes commandements, s’il pratique le jugement et la justice, il vivra de la vie et il ne mourra point ; et Je ne me souviendrai point de toutes les iniquités qu’il a commises. » C’est là ce qui a fait dire à Saint Jean: [21] « Si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste pour nous les pardonner. » Et plus loin : « Si quelqu’un a péché, dit-il, sans excepter aucune sorte de péché, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ qui est juste, qui est Lui-même propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. »
Si nous lisons dans l’Ecriture que certains personnages n’ont point obtenu de Dieu miséricorde, bien qu’ils l’eussent demandée avec ardeur, nous savons que cela tenait à ce qu’ils n’avaient pas un repentir et une douleur sincères de leurs fautes. Ainsi lorsque nous trouvons dans nos Saints Livres, ou dans les saints Pères, quelques passages qui semblent affirmer que certains péchés sont irrémissibles, il faut entendre par là que le pardon de ces péchés est extrêmement difficile à obtenir. De même qu’il est des maladies que l’on dit incurables parce qu’elles inspirent au malade l’horreur des médicaments qui pourraient le guérir ; de même il y a des péchés dont on n’obtient pas le pardon parce qu’ils font repousser la grâce de Dieu, cet unique remède du salut. C’est dans ce sens que Saint Augustin disait: [22] « Lorsqu’un homme arrivé à la connaissance de Dieu par la grâce de Jésus-Christ, blesse ensuite la Charité fraternelle, et que s’élevant contre la grâce même, il s’abandonne aux fureurs de l’envie, le mal de son péché est tel qu’il ne peut même s’abaisser à en demander pardon, quoique d’ailleurs les remords de sa conscience le forcent à reconnaître et à avouer sa faute. »
Mais pour revenir aux effets du sacrement de Pénitence, la vertu d’effacer les péchés lui est tellement propre, qu’il est impossible de l’obtenir, ni même de l’espérer par un autre moyen. « Si vous ne faites pénitence, dit notre Seigneur, [23] vous périrez tous. » II est vrai que ces paroles ne s’appliquent qu’aux péchés graves et mortels. Cependant les péchés légers, que l’on nomme véniels, exigent aussi leur genre de pénitence. [24] « Car, dit Saint Augustin, cette espèce de pénitence qui se fait tous les jours dans l’Eglise pour les péchés véniels serait tout-à -fait vaine, si ces péchés pouvaient se remettre sans pénitence. »
Mais comme ce n’est pas assez, dans les choses qui sont de pratique, de donner des notions et des explications générales, les Pasteurs auront soin d’expliquer séparément tout ce que les fidèles ont besoin de savoir sur les qualités de la véritable et salutaire Pénitence. Or ce Sacrement a cela de particulier que, outre la matière et la forme qui sont communes à tous les Sacrements en général, il contient de plus, comme nous l’avons déjà remarqué, la Contrition, la Confession, la Satisfaction, qui sont nécessaires pour le rendre entier et parfait. Ce qui a fait dire à Saint Jean Chrysostome [25] « La Pénitence porte le pécheur à tout endurer volontiers. La Contrition est dans son cœur, la Confession sur les lèvres, et l’humilité ou la Satisfaction salutaire dans toutes ses œuvres. » Or ces trois parties sont semblables à celles qui entrent nécessairement dans la composition d’un tout. De même que le corps humain est formé de plusieurs membres, les mains, les pieds, les yeux, et d’autres parties semblables dont une seule ne saurait lui manquer sans que nous le trouvions imparfait, — tandis qu’il est parfait lorsqu’il les possède toutes, — de même aussi la Pénitence est tellement composée de ces trois parties que si la Contrition et la Confession qui justifient le pécheur sont seules requises d’une manière absolue pour la constituer dans son essence, elle n’en reste pas moins nécessairement imparfaite et défectueuse, quand elle ne possède point en même temps la Satisfaction. Ces trois parties sont donc inséparables et si bien liées les unes aux autres, que la Contrition renferme la résolution et la volonté de se confesser et de satisfaire, que la Contrition et le désir de satisfaire impliquent la Confession, et que la Satisfaction est la suite des deux autres.
La raison que l’on peut donner de la nécessité de ces trois parties, c’est que nous offensons Dieu de trois manières, en pensées, en paroles et en actions. Il était donc juste et raisonnable, en nous soumettant aux clefs de l’Eglise, d’apaiser la colère de Dieu et d’obtenir de Lui le pardon de nos péchés par les mêmes moyens que nous avons employés à outrager son infinie Majesté. Mais on peut encore donner une autre raison de cette nécessité. La Pénitence est une sorte de compensation pour les péchés, émanant du cœur du pécheur, et fixée au gré de Dieu, contre qui le péché a été commis. II faut donc d’une part que le pénitent ait la volonté de faire cette compensation, ce qui implique spécialement la Contrition, et que de l’autre il se soumette au jugement du Prêtre qui tient la place de Dieu, afin que ce même Prêtre puisse fixer une peine proportionnée à la grandeur de ses offenses. De là il est facile de voir le principe et la nécessité de la Confession et de la Satisfaction.
Mais puisque l’on doit faire connaître distinctement aux Fidèles la nature et les propriétés de chacune de ces parties, il faut commencer par la Contrition, et l’expliquer avec le plus grand soin.. Avec un soin d’autant plus grand que nous devons l’exciter immédiatement dans notre cœur, si le souvenir de nos péchés passés se présente à notre esprit, ou si nous avons le malheur d’en commettre de nouveaux.
[1] In 3. cap. Isa.
[2] 2 Cor., 7, 10.
[3] Genes., 6, 6. ------- 1 Reg., 15, 11.
[4] Genes., 6, 6.
[5] 1 Reg., 15, 11.
[6] Prov., 2, 14.
[7] Genes., 4, 13.
[8] Matth., 27, 3.
[9] Thren., 5, 21.
[10] Hebr., 11, 6.
[11] Isa., 26, 17.
[12] Matth., 3, 2, 4, 17.
[13] Ezech., 18, 21.
[14] Id., 33, 11.
[15] Ezech., 18, 21.
[16] Matth., 9, 2.
[17] Marc., 16, 19.
[18] Matth., 18, 22.
[19] Matth., 18, 18.
[20] Ezech., 18, 21.
[21] 1 Joan., 1, 9.
[22] Lib., 1, de serm. Pont. in mont.
[23] Luc., 13, 3 et 5.
[24] Hom., 50.
[25] Hom., 11, de Penit.