Gertrude d’HELFTA
Gertrude d’HELFTA (1256-1301) écrits
Sainte moniale bénédictine
« Le Christ Jésus a été envoyé par Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre justification, notre rédemption » (1Co 1,30)
Ô Sagesse admirable de Dieu, combien puissante, combien éclatante est ta voix. Tu appelles à toi sans aucune exception tous ceux qui te désirent ; tu fais des humbles ta demeure ; tu chéris ceux qui te chérissent (Pr 8,17) ; tu juges la cause du pauvre ; avec bonté, tu as pitié de tous. « Tu ne hais rien de ce que tu as créé » ; « tu ne considères pas les péchés des hommes » et tu attends miséricordieusement qu'ils viennent à la pénitence (Sg 11,23-24). (…) Toi qui renouvelles toutes choses, de grâce, renouvelle-moi et sanctifie-moi en toi, afin qu'en mon âme tu puisses t'établir. (…) Fais que, dès le matin, je veille pour toi, afin de te trouver en vérité (Is 26,9; Sg 6,12-14) ; viens au-devant de moi, afin qu'en vérité je te désire avec ardeur.
Oh ! avec quelle prudence tu procèdes dans tes desseins. Oh ! avec quelle providence tu disposes tout, quand, en vue de sauver l'homme, tu as inspiré au Roi de gloire (Ps 23,8; 1Co 2,8) (…) la pensée de la paix, l'accomplissement de la charité, et, cachant sa majesté, tu as imposé à ses épaules le moment favorable de l'amour, afin qu'il « porte sur le bois de la croix les péchés du peuple » (1P 2,24). Oh oui, Sagesse éclatante de Dieu, la malice du diable n'a pu entraver aucune de tes œuvres magnifiques (…) ; l'ampleur du mal que nous avons fait n'a pas pu prévaloir contre la multitude de tes miséricordes, contre l'immensité de ton amour, contre la plénitude de ta bonté. Bien plus, ton empressement souverain l'a emporté sur tous les obstacles, disposant toutes choses avec douceur, et « atteignant avec force d'un bout du monde à l'autre » (Sg 8,1).
Les Exercices VII Sexte ; SC 127 (Œuvres spirituelles,
trad. J. Hourlier et A. Schmitt, Éd. du Cerf, 1967, p. 273-275 rev.)
« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19,37)
Un certain vendredi, le jour étant déjà sur son déclin, contemplant l’image du crucifix, et émue à cette vue, Gertrude dit au Seigneur : « Ô mon très doux Amant, combien vous avez souffert pour mon salut en ce jour que moi, hélas ! dans ma totale infidélité, j’ai gaspillé, en le passant à tant d’occupations que j’ai oublié de me remémorer le long du jour, avec ferveur, ô mon Salut éternel, que vous avez souffert pour moi à chaque heure, et que Vous, la Vie d’où vient toute vie, vous êtes mort pour l’amour de mon amour. »
Le Seigneur, du haut de la croix, lui répondit : « Tout ce que tu as négligé de faire, je l’ai fait pour toi et à chaque heure j’ai recueilli dans mon Cœur tout ce que tu aurais dû former dans le tien, et le cumul en a tellement dilaté mon Cœur, que d’un grand désir, j’attendais ce moment où me viendrait de toi cette prière ; car alors, je peux enfin offrir à Dieu mon Père tout ce que j’ai fait pour toi pendant la journée : sans cette prière, en effet, rien de tout cela ne pouvait servir à ton salut. » Par là, on peut voir ce qu’est l’amour tout fidèle de Dieu pour les hommes (…).
Une autre fois qu’elle tenait entre les mains (…) l’image du Christ crucifié, elle comprit que quiconque contemple avec l’attention de la piété l’image de la croix du Christ, le Seigneur le regarde avec une miséricorde si bienveillante que son âme, comme un clair miroir reçoit en elle, par l’effet du divin amour, cette toute délectable image dont la cour céleste se réjouit. Et il y aura pour lui une gloire éternelle future.
Le Héraut, Livre III, SC 143
(Œuvres spirituelles, trad. P. Doyère, éd. du Cerf, 1968, p. 189, 191, rev.)
Ô mon amour, Dieu de ma vie !
Que suis-je, ô mon Dieu, amour de mon cœur ? Hélas, hélas, que je te suis dissemblable. Voici que moi, je suis comme une infime gouttelette de ta bonté, et toi, tu es l’océan rempli de toute douceur.
Ô amour, amour, ouvre, ouvre sur moi si petite les entrailles de ta bonté ; fais jaillir sur moi toutes les cataractes de ta très bénigne paternité ; fais sourdre sur moi toutes les sources du grand abîme de ton infinie miséricorde. Que m’engloutisse le gouffre de ta charité. Que je sois immergée dans l’abîme et l’océan de ta miséricordieuse bonté. Que je disparaisse dans le déluge de ton vivant amour, comme disparaît une goutte d’eau de la mer, dans la profondeur de son immensité. Que je meure, que je meure dans le torrent de ton immense pitié, comme meurt l’étincelle du feu dans le courant impétueux du fleuve.
Que la rosée de ton amour m’enveloppe. Que la coupe de ton amour m’enlève la vie. Que le secret dessein de ton très sage amour opère et achève en moi la glorieuse mort d’amour, cet amour qui donne la vie. Là, je perdrai ma vie en toi, là où tu vis éternellement, ô mon amour, Dieu de ma vie. Amen.
Exercices IV, SC 127 (Œuvres spirituelles,
trad. J. Hourlier et A. Schmitt, Éd. du Cerf, 1967, p. 149, rev.)
Offrir au Seigneur un parfum précieux
Le Seigneur [dit à Gertrude] : « Si tu as envie de m’offrir aussi le parfum que d’après l’Écriture, cette femme a répandu dévotement sur ma tête, après avoir brisé son vase (Mt 26,7), en sorte que « la maison fut remplie de l’odeur du parfum » (Jn 12,3), sache que tu le feras excellemment en aimant la vérité. Oui, celui qui aime la vérité et qui, pour la défendre, perd ses amis ou s’expose à d’autres peines, ou encore assume volontairement des fatigues, celui-là vraiment brise le vase et répand abondamment sur ma tête un parfum précieux, si bien que la maison est remplie de sa bonne odeur. Il devient en effet l’occasion d’un bon exemple. (…)
Elle reprit : « Ô Seigneur, il est dit que Marie avait acheté ce parfum précieux ; comment pourrai-je à mon tour vous rendre un hommage aussi grand que si j’avais fait pour vous pareil achat ? » Le Seigneur répondit : « Quiconque m’offre son bon vouloir en une affaire qu’il décide de mener à terme, pour mon amour, si grande que puisse être, par ailleurs, la peine qu’il lui faudra se donner, pourvu qu’il procure ma gloire, celui-là m’achète un parfum extrêmement précieux, et qui m’est on ne peut plus agréable, puisqu’en préférant mon honneur à son avantage, il s’expose volontairement à mille désagréments. Oui, vraiment, il l’achète pour moi, quand bien même il se trouverait toujours empêché d’exécuter son dessein. »
Le Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles,
trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille,
éd. du Cerf, 1978, p. 353, 355, rev.)
« Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre »
Mon Dieu, mon très doux Soir, lorsque pour moi sera venu le soir de cette vie, fais-moi m'endormir doucement en toi, et expérimenter cet heureux repos que tu as préparé en toi à ceux qui te sont chers. Que le regard si paisible et gracieux de ta belle dilection, ordonne et dispose avec bonté les préparatifs de mes noces. Par l'opulence de ta bonté, couvre (...) la pauvreté de ma vie indigne ; dans les délices de ta charité que mon âme habite avec une extrême confiance.
Ô amour, toi-même sois alors pour moi un soir si beau, que par toi mon âme avec joie et allégresse dise à mon corps un doux adieu et que mon esprit, retournant au Seigneur qui l'a donné, sous ton ombre suavement repose en paix. Alors tu me diras clairement (...) : « Voici venir l'Époux : sors maintenant et unis-toi à lui plus intimement, afin qu'il te réjouisse par la gloire de son visage. » (...)
Oh ! quand, quand te montreras-tu à moi, afin que je te voie et que je puise avec délices à cette source vive que tu es, ô Dieu ? (Is 12,3) Alors je boirai, je m'enivrerai dans l'abondance de la douceur de cette source vive, qui sourd des délices de la face (...) de celui que désire mon âme (Ps 41,3). Ô douce face, quand me combleras-tu de toi ? Alors j'entrerai dans le sanctuaire admirable, jusqu'à la vue de Dieu (Ps 41,5) ; je ne suis qu'à l'entrée, et mon cœur gémit de la longueur de mon exil. Quand me combleras-tu de joie par ta douce face ? (Ps 15,11) Alors je contemplerai et embrasserai le véritable Époux de mon âme, mon Jésus. (...) Là je connaîtrai comme je suis connue (1Co 13,12), j'aimerai comme je suis aimée ; ainsi je te verrai, mon Dieu, tel que tu es (1Jn 3,2), en ta vision, ta jouissance et ta possession bienheureuse à jamais.
Les Exercices, n°5 ; SC 127 (Œuvres spirituelles; trad. J. Hourlier et A. Schmitt;
Éd. du Cerf, 1967; p. 175-179; rev.)
« Il convoqua ses serviteurs »
Vérité chérie, juste Équité de Dieu, comment comparaîtrai-je devant ta face, portant mon iniquité…, le fardeau de ma trop grande négligence ? Le trésor de la foi chrétienne et de la vie spirituelle, hélas, je ne l'ai pas donné au trésor des banquiers de la charité, où tu aurais pu le retirer ensuite, selon ta volonté, accru des intérêts de toute la perfection. Le talent qui m'a été confié, mon temps, non seulement je l'ai dépensé en vain, mais je l'ai même laissé fuir, gâté et perdu totalement. Où irai-je ? De quel côté me tournerai-je ? « Où fuirai-je loin de ta face ? » (Ps 138,7)
Vérité, tu as pour assesseurs inséparables la justice et l'équité… Malheur à moi, si je comparais devant ton tribunal sans avoir d'avocat qui réponde pour moi : ô Charité, toi, arrive à ma décharge. Toi, réponds pour moi ; toi, sollicite mon pardon ; toi, plaide ma cause afin que, grâce à toi, je vive.
Je sais ce que je ferai : « Je prendrai la coupe du salut » (Ps 115,13). Je placerai le calice de Jésus sur le plateau vide de la Vérité. Ainsi, je remédierai à tout ce qui me manque. Ainsi je couvrirai tous mes péchés. Par ce calice je relèverai toutes mes ruines. Par ce calice je remédierai, dignement et au-delà, à tout ce qu'il y a d'imparfait en moi…
Chère Vérité, venir à toi sans mon Jésus me serait intolérable ; mais avec mon Jésus, comparaître devant toi sera pour moi chose bien agréable et aimable. Vérité, siège maintenant sur ton tribunal… :« Je ne crains aucun mal » (Ps 22,4).
Les Exercices, n°7, Prime ; SC 127 (trad. SC, p. 265 rev.)
« Alors tu verras, tu seras radieuse » (Is 60,5)
Quelle sera ma joie, mon Dieu, quelle sera mon allégresse, quelle sera ma jubilation, lorsque tu me dévoileras la beauté de ta divinité et que mon âme te verra face à face ? (...) Alors, toi mon âme, « tu verras et tu seras dans l'abondance, ton cœur sera dans l'émerveillement et se dilatera, lorsque tu recevras la multitude des richesses », des délices, et la magnificence de la gloire « de cette mer » immense de la Trinité digne à jamais d'adoration ; lorsque « viendra à toi la puissance des nations » que « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (Is 60,5; 1Tm 6,15), par la force de son bras, a repris pour lui de la main de l'ennemi ; lorsque l'inondation de la miséricorde et de la charité divine te couvrira. (...)
Alors la coupe de la vision te sera présentée et tu t'enivreras (Ps 22,5 Vulg) — c'est la coupe enivrante et sublime de la gloire du visage divin. Tu boiras « au torrent des délices » (Ps 35,9) de Dieu quand la source même de la lumière te comblera éternellement de sa plénitude. Alors tu verras les cieux tout remplis de la gloire du Dieu qui les habite, et cet Astre virginal qui, après Dieu, illumine tout le ciel de sa très pure lumière [Marie], et les œuvres admirables des doigts de Dieu [les saints: Gn 2,7] et « ces étoiles du matin » qui toujours se tiennent devant la face de Dieu avec tant de joie et qui le servent [les anges : Jb 38,7; Tb 12,15].
Dieu de mon cœur et mon héritage de choix (Ps 72,26), hélas, combien de temps encore mon âme sera-t-elle frustrée de la présence de ton très doux visage ? (...) De grâce, fais-moi vite parvenir à toi, Dieu « source de vie » (Ps 36,10), afin qu'en toi je puise la vie éternelle pour toujours. Bien vite « fais luire sur moi ta face » (Ps 30,17) afin que dans la joie je te voie face à face. Vite, oh, vite, montre-toi toi-même à moi, afin que je me réjouisse de toi, dans le bonheur, éternellement.
Les Exercices, n°6 ; SC 127 (Œuvres spirituelles,
trad. J. Hourlier et A. Schmitt, Éd. du Cerf, 1967, p. 239 rev.)
Comment aller à votre rencontre, Seigneur ?
Le saint jour des Rameaux (…), Gertrude dit au Seigneur : « (…) Vous Seigneur Dieu, mon bien-aimé, pour mon salut vous marchez vers votre passion ; comment pourrai-je, moi, aller à votre rencontre d’une manière digne de vous honorer ? » Le Seigneur répondit : « Donne-moi une monture pour m’asseoir, une foule venant joyeuse au-devant de moi, une foule pour me suivre en chantant des louanges, et une foule pour m’accompagner et me servir.
Je m’explique : donne-moi une monture dans la contrition de ton cœur, en confessant que souvent tu as négligé de suivre la raison et que, pas plus qu’un animal, tu n’as prêté attention à chacune des choses que ma bonté n’a cessé de faire pour toi en vue de ton salut. (…) Secondement, tu me donneras une foule venant joyeuse au-devant de moi, lorsque tu me recevras avec les sentiments d’affection de tout l’univers, en union avec cet amour qui m’amena aujourd’hui à Jérusalem pour le salut du monde entier, moi le Créateur et le Sauveur de tous. (…) En troisième lieu, donne-moi une foule pour me suivre en chantant des louanges. Pour cela, confesse que tu n’as jamais fait un effort suffisant pour imiter les exemples de ma vie si parfaite, et offre-moi une volonté tellement aimante que si tu pouvais inciter tous les hommes à imiter parfaitement les exemples de ma vie très parfaite et de ma passion, tu y emploierais de grand cœur toutes tes forces pour ma gloire. Et brûlante de désir, demande de recevoir la grâce de m’imiter, autant qu’il est possible à l’homme, en particulier par une authentique humilité, patience et charité, vertus que j’ai pratiquées davantage au temps de ma passion. Quatrièmement, donne-moi une foule pour me suivre et me servir. Pour cela, confesse que jamais tu n’as été à mes côtés avec la fidélité requise lorsqu’il fallait défendre la vérité et la justice
Et, ajouta le Seigneur, si quelqu’un, au nom de l’univers, se donne à moi de ces quatre manières, sans nul doute, je viendrai à lui avec tant de condescendance qu’il en recevra le fruit de salut éternel. »
Le Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles,
trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille,
éd. du Cerf, 1978, p. 213, 215, rev.)
Consolation et joie dans le Seigneur
Comme on lisait dans l’évangile à propos de la bienheureuse Marie-Madeleine : « Elle se pencha, regarda dans le tombeau et vit deux anges », etc., Gertrude dit au Seigneur : « Où est, Seigneur, ce tombeau où il me faut regarder afin de trouver la consolation et la joie ? » Alors le Seigneur lui montra la plaie de son côté. Et comme elle se penchait à l’intérieur, en place des deux anges, elle perçut deux paroles dont la première était : « Tu ne pourras jamais être séparée de ma communion. » Et l’autre : « Toute tes œuvres me plaisent de manière absolument parfaite. »
De cela elle fut stupéfaite et, pleine de doutes, se demandait comment cela pourrait bien se faire : elle était en effet en tous points si imparfaite que l’ensemble de ses œuvres n’eussent pu plaire à aucun homme au monde, à cause des défauts cachés qu’elle y découvrait quelquefois. Dès lors, comment eussent-elles pu plaire à cette connaissance infiniment lumineuse qui trouve, pour ainsi dire, mille défauts là où, pour l’homme aveuglé c’est à peine s’il en est un seul.
Le Seigneur lui répondit : « Supposons que tu tiennes en main un objet. Tu peux facilement l’améliorer pour peu que tu veuilles bien, et tu as ainsi la faculté de le rendre agréable à tous. Comment négligerais-tu de le faire ? Il en va de même pour moi : du fait que tu as l’habitude de me confier très souvent tes œuvres, je les tiens, peut-on dire, en ma main, et, comme ma toute-puissance m’en donne le pouvoir, et mon inscrutable sagesse, la capacité, je prends plaisir dans ma bonté à améliorer toutes tes œuvres, de telle sorte que je peux à juste titre, m’y complaire, moi et tous les habitants du ciel. »
Le Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles,
trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille,
éd. du Cerf, 1978, p. 275, 277, rev.)
Rempli de gratitude, recevoir l’Esprit Saint
Tandis qu’on lisait dans l’évangile que le Seigneur a donné à ses disciples l’Esprit Saint en soufflant sur eux (cf. Jn 20,22), Gertrude supplia le Seigneur avec une instante dévotion de daigner, dans sa libéralité, lui donner, à elle aussi, l’Esprit d’où découle toute douceur. Le Seigneur lui répondit : « Si tu désires recevoir l’Esprit Saint, il te faut, comme mes disciples, toucher d’abord mon côté et mes mains. » (cf. Jn 20,27)
Ces mots lui firent comprendre que si quelqu’un désire recevoir l’Esprit Saint, il lui faut toucher le côté du Seigneur, c’est-à-dire considérer avec gratitude l’amour du Cœur divin par lequel il nous a prédestinés de toute éternité à être ses fils et les héritiers de son royaume, et considérer aussi comment, par tant de bienfaits infinis, il nous a toujours prévenus, malgré notre indignité, et poursuivis de sa grâce, malgré notre ingratitude. Il lui faut, de plus, toucher les mains du Seigneur, c’est-à-dire se rappeler avec gratitude chacun des actes par lesquels le Seigneur a, pour notre amour, peiné pendant trente-trois ans à notre rédemption, et spécialement dans sa passion et dans sa mort.
Et lorsqu’il sera enflammé de ce souvenir et de cette gratitude, qu’il offre à Dieu tout son cœur pour le bon plaisir de la volonté divine, en union avec cet amour qui a fait dire au Seigneur : « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21), en sorte que l’homme ne veuille ni ne désire rien sinon le souverain bon plaisir de Dieu, et, en outre, s’offre lui-même (…). Si quelqu’un agit de la sorte, il recevra indubitablement l’Esprit Saint, le Paraclet, dans les sentiments mêmes où les apôtres le reçurent par l’insufflation du Fils de Dieu.
Le Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles,
trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille,
éd. du Cerf, 1978, p. 279, 281, rev.)
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21)
Cherchant un jour à comprendre dans quel dessein il se faisait que d’aucuns reçoivent à l’Office une abondante nourriture spirituelle alors que d’autres demeurent dans l’aridité, Gertrude reçut de Dieu cette lumière : « Le cœur a été créé par Dieu pour contenir la joie spirituelle comme un vase contient l’eau. Mais si, dans ce vase, d’imperceptibles trous laissent échapper l’eau, à la fin, il peut totalement la perdre et être complètement à sec. Il en est de même de la joie spirituelle renfermée dans le cœur humain, si elle s’écoule par les sens corporels, la vue, l’ouïe et les autres sens laissés libres d’agir à leur gré, elle finit par se perdre et le cœur reste vide de toute joie en Dieu.
Chacun peut en faire l’expérience. Si l’envie lui vient d’un regard ou d’une parole inutile ou de peu de profit et qu’il y cède sur-le-champ, la joie spirituelle tenue pour rien s’écoule comme l’eau. Au contraire, s’il s’efforce de se contenir pour l’amour de Dieu, elle croît en son cœur au point qu’à peine peut-il en supporter l’excès. Ainsi, quand l’homme a appris à se dominer en semblables occasions, la joie divine lui devient familière et plus grand aura été l’effort de sa discipline, plus savoureuses seront les délices qu’il découvrira en Dieu. »
Le Héraut, Livre III, SC 143 (Œuvres spirituelles,
trad. P. Doyère, éd. du Cerf, 1968, p. 159, 161, rev.)