Guigues le CHARTREUX
Guigues le CHARTREUX (?-1188) écrits
Prieur de la Grande Chartreuse
« Aussitôt elle vint se jeter à ses pieds »
« Seigneur, que personne ne peut voir sinon les cœurs purs (Mt 5,8), je recherche, par la lecture et la méditation, ce qu'est la vraie pureté de cœur et comment on peut l'obtenir pour devenir capable, grâce à elle, de te connaître, si peu que ce soit. J'ai cherché ton visage, Seigneur, j'ai cherché ton visage (Ps 26,8). J'ai longtemps médité en mon cœur, et un feu s'est allumé dans ma méditation : le désir de te connaître davantage. Quand tu romps pour moi le pain de la sainte Écriture, tu m'es connu dans cette fraction du pain (Lc 24,30-35). Et plus je te connais, plus je désire te connaître, non seulement dans l'écorce de la lettre mais dans la saveur de l'expérience.
« Je ne demande pas cela, Seigneur, en raison de mes mérites, mais à cause de ta miséricorde. J'avoue, en effet, que je suis pécheur et indigne, mais ‘les petits chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres’. Donne-moi donc, Seigneur, les gages de l'héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour rafraîchir ma soif, car je brûle d'amour » ...
C'est par de tels discours que l'âme appelle son Époux. Et le Seigneur, qui regarde les justes et qui non seulement écoute leur prière mais est présent dans cette prière, n'attend pas la fin de celle-ci. Il l'interrompt au milieu de son cours ; il se présente tout-à-coup, il se hâte de venir à la rencontre de l'âme qui le désire, ruisselant de la douce rosée du ciel comme du parfum le plus précieux. Il recrée l'âme fatiguée, il nourrit celle qui a faim, il fortifie sa fragilité, il la vivifie en la mortifiant par un admirable oubli d'elle-même, il la rend sobre en l'enivrant.
Lettre sur la vie contemplative, 6-7 (trad. Orval ; cf SC 163, p. 95)
Cherchez en lisant, frappez en priant et vous entrerez en contemplant !
La douceur de la vie bienheureuse est recherchée dans la lecture, trouvée dans la méditation, demandée dans la prière, et savourée dans la contemplation. C’est pourquoi le Seigneur lui-même dit : « Cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira » (Mt 7,7). Cherchez en lisant, vous trouverez en méditant. Frappez en priant, vous entrerez en contemplant. La lecture présente en quelque sorte une nourriture solide à la bouche, la méditation la mâche et la broie, la prière obtient le sens du goût, la contemplation est la douceur même qui réjouit et refait. La lecture atteint l’écorce, la méditation pénètre la moelle, la prière exprime le désir, et la contemplation savoure la douceur obtenue. L’esprit voit qu’il ne peut atteindre par lui-même la douceur tant désirée de la connaissance et de l’expérience. Plus son cœur devient profond, plus la hauteur de Dieu lui paraît lointaine. Il s’humilie alors et se réfugie dans la prière. (…)
“J’ai longtemps médité en mon cœur, et un feu s’est allumé dans ma méditation : le désir de te connaître davantage. Quand tu romps pour moi le pain de la sainte Écriture, tu m’es connu dans cette fraction du pain (cf. Lc 24, 30-35). Et plus je te connais, plus je désire te connaître, non seulement dans l’écorce de la lettre mais dans la saveur de l’expérience. Je ne demande pas cela, Seigneur, en raison de mes mérites, mais à cause de ta miséricorde. J’avoue, en effet, que je suis pécheur et indigne, mais « les petits chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mt 15,27). Donne-moi donc, Seigneur, les gages de l’héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour rafraîchir ma soif, car je brûle d’amour.”
Lettre sur la vie contemplative, 3, 6-7
(in Lectures chrétiennes pour notre temps, fiche L37 ;
trad. Orval ; © 1972 Abbaye d'Orval)
« Donne-nous de ce pain-là, toujours »
Le pain de l'âme, c'est le Christ, « le pain vivant qui est descendu du ciel » (Jn 6,51) et qui nourrit les siens, maintenant par la foi, dans le monde futur par la vision. Car le Christ habite en toi par la foi, et la foi dans le Christ, c'est le Christ dans ton coeur (Ep 3,17). Dans la mesure où tu crois dans le Christ, dans cette mesure tu le possèdes.
Et le Christ est en vérité un seul pain, « car il y a un seul Seigneur, une seule foi » (Ep 4,5) pour tous les croyants, bien que les uns reçoivent plus, les autres moins du don de la même foi... Comme la vérité est une, une seule foi dans la vérité unique conduit et nourrit tous les croyants, et « un seul et même Esprit distribue à chacun ses dons, selon sa volonté » (1Co, 12,11).
Nous vivons donc tous du même pain et chacun d'entre nous reçoit sa portion ; et cependant le Christ est tout entier pour tous, sauf pour ceux qui déchirent l'unité... Dans ce don que j'ai reçu, je possède tout le Christ et le Christ me possède tout entier, comme le membre qui appartient à tout le corps possède en retour le corps tout entier. Cette portion de foi que tu as reçue en partage est donc comme le petit morceau de pain qui est dans ta bouche. Mais si tu ne médites pas fréquemment et pieusement ce que tu crois, si tu ne le mâches pas, pour ainsi dire, en le triturant et le retournant avec les dents, c'est-à-dire avec les sens de ton esprit, il ne franchira pas la gorge, c'est-à-dire qu'il ne parviendra pas jusqu'à ton intelligence. En effet, comment pourrais-tu comprendre ce que tu médites rarement et avec négligence, surtout s'il s'agit d'une chose ténue et invisible ?... Que par la méditation, donc, « la Loi du Seigneur soit toujours dans ta bouche » (Ex 13,9) pour que naisse en toi la bonne intelligence. Par la bonne compréhension, la nourriture spirituelle passe dans ton coeur, pour que tu ne négliges pas ce que tu as compris mais le recueille avec amour.
Méditation 10 (trad. SC 163, p. 181 rev.)