Martin de COCHEM
Martin de COCHEM (13 décembre 1634 - 10 septembre 1712)
Prédicateur, catéchiste, confesseur.
La Prière du Coeur
CHAPITRE PREMIER
NÉCESSITÉ DE LA PRIERE
Les Pères de l'Eglise sont unanimes à affirmer la nécessité de la prière. Selon leur doctrine, tout ce dont l'homme a besoin pour son corps, pour son âme, dans le temps et dans l'éternité, il l'obtient par la prière; au point que Dieu ne fait descendre du ciel sur la terre aucun don, aucune grâce, s'il n'en a été préalablement sollicité. Saint Grégoire et saint Thomas appuient leur enseignement à cet égard sur ces paroles de Jésus-Christ : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira » .
Saint Chrysostome appelle la prière le fondement, la base de toutes les vertus. Comme une maison ne peut subsister sans fondement, notre vie chrétienne ne peut subsister sans la prière. Oui, il faut prier sans cesse, car la prière nous est aussi nécessaire que l'humidité est indispensable aux racines de l'arbre. Privé d'eau, l'arbre ne portera point de fruit; privée de la prière, l'âme ne produira aucune bonne oeuvre. J'estime qu'il est impossible, sans la prière, d'acquérir une seule vertu, de la sauvegarder, de la pratiquer. Quand vous omettez la prière, votre âme ressent un malaise semblable à celui du poisson hors de l'eau, car si l'eau est la vie du poisson, la prière est la vie de l'âme. Sans la prière vous êtes mort.
Saint Ambroise parle de même. La prière étant la nourriture de notre âme, un homme qui ne prie pas meurt spirituellement. Donc, s'il vous est impossible de prier sans cesse, consacrez au moins un certain temps à réconforter votre âme de ce pain de vie, de peur qu'elle ne dépérisse et qu'elle meure. Priver son âme de la prière, c'est la tuer.
Les expressions de saint Bonaventure sont presque identiques. Comme les abeilles privées de miel, meurent, un mur sans mortier s'écroule, des mets sans sel se corrompent : chez l'homme qui ne prie pas, la piété se dessèche et sera bientôt anéantie. Cet homme n'est pas seulement misérable, il porte aux yeux de Dieu une âme morte dans un corps vivant.
Ces enseignements des saints Docteurs établissent clairement la nécessité de la prière et le danger imminent qu'il y a à ne prier que rarement ou jamais.
O Chrétiens, aimez la prière, appliquez-vous-y toujours davantage et cherchez à la rendre plus parfaite. Appliquez-vous-y d'autant plus que le démon vous poursuit sans trêve, essayant par mille ruses de vous tromper, de vous séduire, de vous perdre. L'apôtre saint Pierre le dit : « Mes frères, soyez sobres et veillez, car le démon votre ennemi tourne sans cesse autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer » . De son côté, saint Paul nous avertit que nous n'avons pas seulement à combattre « contre la chair et le sang, mais contre les princes de ce monde de ténèbres » , c'est-à-dire contre le diable et ses suppôts, dont la puissance surpasse la puissance du monde. Comment pauvres et faibles hommes que nous sommes, pourrions-nous lutter contre ces lions rugissants, ces loups ravisseurs, ces princes des ténèbres, ces puissances infernales, sans un secours d'en haut ? Comment ce secours nous sera-t-il accordé, si nous ne le demandons instamment ?
Sur ce passage de l'Ecriture : « Tant que Moïse priait, son peuple était vainqueur, mais quand ses bras lassés retombaient, la victoire passait aux ennemis », saint Chrysostome dit : « Nul n'est excusable s'il est terrassé par son adversaire parce qu'il a cessé de prier. Interrompre la prière, c'est donner tout pouvoir au démon; l’abandonner, c'est se constituer son prisonnier. Au contraire, chaque fois que vous priez, vous accablez d'angoisses notre infernal ennemi qui se sent alors affaibli. L'arme de la prière le met en déroute aussi rapidement qu'un meurtrier fuit à l'approche de la justice. »
Ceci explique pourquoi tant de personnes, en religion ou dans le siècle, sont si souvent et si fortement tentées et vaincues par la chair, le monde et les créatures : elles ne prient pas, ou pas assez, ou pas comme il faut. Saint Jean Chrysostome le dit : « Celui qui ne vaque pas à la prière, court au devant des tentations, et quand je vois un homme qui n'aime pas la prière, je le tiens pour peu vertueux. Au contraire, une âme se montre-t-elle avide de prier, estime-t-elle comme un grand dommage l'omission de la prière, je la reconnais pour un vrai temple de Dieu, un vase plein de précieuses vertus. »
CHAPITRE DEUXIEME
COMBIEN IL FAUT PRIER
Quand l’Esprit-Saint exhorte à la prière, il ne fixe ni époque ni durée, mais il la veut continuelle : « Que rien ne vous détourne de prier sans cesse, car la récompense est éternelle » . Par l'organe de saint Paul, il dit encore : « C'est la volonté de Dieu que vous priiez sans cesse » . « Persévérez et veillez dans la prière, en raccompagnant d'actions de grâces » . « Notre-Seigneur dit lui-même : Priez sans cesse, afin que vous soyez jugés dignes d'échapper aux maux à venir » . « Il faut toujours prier et ne jamais cesser de le faire » . Il faut, renferme un ordre formel du Seigneur, en sorte que la prière n'est pas une œuvre facultative, mais un devoir strict. Cependant prier sans cesse, ne signifie pas être uniquement occupé à la prière ; ce que le Seigneur demande, c'est simplement de prier quand nous en avons la liberté, c'est-à-dire quand notre travail, nos devoirs d'état, notre santé le permettent.
Saint Bernard s'écrie dans l'ardeur de son âme : « O mes frères, ne cessez pas de prier. Priez jour et nuit, maniez sans cesse les armes de la prière ; la prière ne doit jamais s'éloigner de vous. Gémissez et soupirez en tout temps ; levez-vous la nuit pour prier et, quand vous aurez fermé les yeux quelques instants, priez de nouveau, car la prière est le moyen tout puissant de vaincre la faiblesse de l'esprit, c'est elle qui nous mènera le plus rapidement à la perfection. Ce moyen doit être mis en usage sans relâche, comme la sentinelle est postée sans interruption à la garde de la forteresse. »
David chantait : « Béni soit le Seigneur de n'avoir jamais écarté de moi, ni la prière, ni sa miséricorde » . Ce qui fait dire à saint Augustin : « Tout le temps de la vie nous devons demander à Dieu de ne pas nous enlever la prière ni sa miséricorde, c'est-à-dire la grâce de prier sans cesse et de trouver sans cesse miséricorde à ses yeux. Beaucoup, en effet, prient avec assiduité au moment de leur conversion ; bientôt la tiédeur succède au zèle des premiers jours; enfin, l'indifférence les gagne comme si leur salut était déjà fait. Pauvres âmes, quand elles s'apercevront que la prière leur a été ôtée, elles pourront tenir pour certain que la miséricorde divine s'est détournée d'elles. »
Bien des personnes réputées pieuses devraient réfléchir sur cette remarque du saint évêque d'Hippone. Prier peu et mal passer le temps dans l'oisiveté, à parler ou à dormir, ce sont là autant d'indices que Dieu se retire peu à peu, pour nous abandonner tout à fait, si nous ne changeons de vie. Quant aux âmes généreuses, qui, elles, ne cessent d'élever vers le ciel la ferveur de leurs prières, elles peuvent être assurées que Dieu versera dans leur sein en abondance ses bienfaits incomparables.
C'est pourquoi saint Augustin, avec les autres Pères, font de si grands éloges de la prière constante. Elle élève le cœur vers Dieu, garde l'âme en sa sainte présence, lui obtient des grâces insignes et dispose le Souverain Maître à prêter son secours contre la chair et le démon. Souvent, elle unit l'âme à Dieu aussi intimement que le fait la contemplation parfaite.
Vous me demanderez : Faut-il donc ne pas faire autre chose que prier ? Ne doit-on pas travailler, lire, écrire, étudier, enseigner, veiller aux affaires ? N'en doutez pas, il faut s'occuper à tout cela, mais il faut s'en occuper en priant, c'est-à-dire, tandis que vous lisez, travaillez, étudiez, enseignez, tandis que vous êtes au milieu des affaires, tournez souvent votre cœur vers le Père céleste et dites-lui : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Mon Dieu, ne m'abandonnez pas ! Seigneur, tenez mon travail pour agréable ! » Ces oraisons jaculatoires ou autres semblables, vous pouvez les répéter à chaque instant et en sorte que celui avec qui vous parlez, travaillez ou marchez ne s'en aperçoit même pas. Voilà l'union de l'action à la prière. Si vous n'entretenez pas ainsi l'esprit de prière et que vous vous contentiez de prier à certaines heures du jour ou de la nuit, vous sentirez peu à peu votre ferveur se refroidir, jusqu'à ce qu'elle disparaisse tout à fait. Cette habitude de l'oraison jaculatoire maintient et augmente la ferveur; elle tient allumé sur l'autel de noire cœur le feu sacré de l'amour divin, car à chaque soupir vers Dieu vous en activez la flamme, comme par un nouveau morceau de bois jeté au foyer.
C'est ainsi qu'il faut entendre ce qui est rapporté des anciens Pères : ils priaient sans cesse. Les apôtres saint Jacques et saint Barthélémy fléchissaient le genou plusieurs centaines de fois dans l'espace d'un jour et d'une nuit ; le même trait se lit dans la vie de saint Patrice et de plusieurs vénérables ermites. Saint Apollinaire priait cent fois le jour et autant la nuit ; une pieuse vierge arrivait jusqu'à sept cent fois. Sainte Angèle s'agenouillait mille fois le jour, accompagnant chaque génuflexion d'une oraison jaculatoire, et l'Eglise chante de saint Martin : « Il tenait sans cesse les yeux et les mains levés vers le ciel, et son esprit invincible n'abandonnait jamais la prière. »
Ainsi, « l'oraison jaculatoire est si précieuse pour l'acquisition rapide de la perfection, que tous les saints et tous les hommes spirituels l'ont tenue en haute estime. En effet, quand ce feu brûle dans notre âme, le péché en est consumé, le vice anéanti. Ces soupirs ardents nous détachent graduellement du monde, nous rendent semblables à Dieu et nous unissent à lui. Par leur moyen les tentations sont repoussées, les vertus acquises, l'entendement illuminé de clartés célestes ; l'intention se purifie, la volonté s'affermit, l'âme devient plus apte à la contemplation, l'homme entier se perd en Dieu. On appelle également bien ces prières « flèches d'amour », parce qu'elles s'élancent, rapides comme la flèche, sur le Cœur de Jésus, le blessent et en font découler ses grâces adorables » . Ne croyez pas que de telles faveurs soient réservées aux esprits éminents, aux illustres saints que nous avons cités. Bien loin de là. L'habitude de prier toujours et partout a conduit à la plus haute perfection des paysans, des artisans, des domestiques qu'aucun maître spirituel n'avait instruits, qui n'ont jamais su ni lire, ni écrire et parmi lesquels beaucoup passaient leur vie dans des déserts ou au fond des forêts ; car le précepte du divin Maître : « Il faut prier sans cesse », oblige tous les hommes.
Cependant, ce commandement est mal observé ; en général, les chrétiens ne songent même pas à le mettre en pratique, bien qu'on le puisse si facilement. Les meilleurs ne se contentent-ils pas de quelques formules récitées du bout des lèvres ? Or, par cette négligence, ils refusent à Dieu la gloire qui lui est due, la joie qu'ils devraient lui causer, et se portent à eux-mêmes un grand préjudice, car ils restent toute leur vie de misérables pécheurs, sans vertu, sans progrès dans la vie spirituelle. Je ne sais de quel œil Dieu regarde ces pauvres âmes, je crains qu'il ne les estime pas beaucoup.
Par contre, la prière constante, quand même elle ne serait pas accompagnée de toutes les autres bonnes oeuvres, ni de grandes mortifications, rend l'âme agréable à Dieu, et lui fait obtenir plus promptement, après la mort, cette miséricorde qu'elle a tant de fois implorée par l'ardeur et la fréquence de ses soupirs.
Imitons donc les exemples qui nous sont proposés, notre profit au ciel et sur la terre sera double : là-haut notre couronne sera plus précieuse ; ici-bas, nos affaires marcheront mieux. Pensez seulement au nombre de péchés qu'une prière ainsi continuée ferait éviter, et à la quantité de tentations dont elle préserverait. C'est à elle qu'il faut appliquer ce passage de la Règle de notre séraphique Père saint François : « Que les frères s'appliquent à des ouvrages convenables et d'une utilité commune, et cela avec fidélité et dévotion, de telle sorte qu'en évitant l'oisiveté ennemie de l'âme, ils ne laissent jamais s'éteindre l'esprit de sainte oraison auquel doivent être subordonnées toutes les affaires temporelles ».
Joindre la prière au travail, ou plutôt transformer le travail en prière par l'oraison jaculatoire, voilà quel doit être l'objet de notre constante application. Soyez assuré qu'en récompense de ce soin, le Saint-Esprit opérera en vous de grandes choses et que, de pauvre pécheur, vous deviendrez l'ami privilégié du Dieu tout-puissant.
CHAPITRE TROISIEME
DE LA PRIÈRE CONTINUELLE
Saint Ambroise dit : « Quand vous lisez, c'est Dieu qui vous parle, mais quand vous priez, c'est vous qui parlez à Dieu. » Ces quelques mots font ressortir l'excellence de la .prière. L'âme en est élevée jusqu'à Dieu, elle y reçoit l'immense honneur, la grâce inestimable de traiter avec Lui ! Pour se faire entendre des hommes, il faut nécessairement user de la langue, l'homme étant un être matériel qui ne saurait comprendre sans le secours des signes sensibles, des sons articulés. Il en est bien autrement de Dieu qui n'a besoin, pour comprendre, d'aucune parole, d'aucun signe : il suffit de répandre notre cœur en sa présence et nos plus secrètes pensées sont à découvert devant lui : « Dieu est Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité » .
Le divin Maître nous révèle par ces mots la supériorité de la prière mentale sur la prière vocale, et nous enseigne qu'il est plus avantageux de prier seulement du cœur que de prier des seules lèvres. Expliquant ce passage de l'Evangile, saint Grégoire dit : « La vraie prière ne consiste pas en des paroles, mais dans les pensées du cœur ; ce ne sont pas les mots, mais les désirs qui crient vers Dieu. Si nous demandons la vie éternelle de bouche seulement, si haut que s'élèvent nos clameurs, nous demeurerons muets ; mais par un désir véhément du cœur, notre appel percera les nues et pénétrera jusqu'au trône de Dieu. »
Une foule de personnes errent sur ce point. Elles se donnent beaucoup de peine sans aucun profit, leurs interminables prières n'étant qu'un vain mouvement des lèvres, auquel ne se joint aucune attention. Savent-elles seulement ce qu'elles disent ? Vraiment c'est pitié de voir ainsi se conduire beaucoup de ceux qui sont consacrés à Dieu, aussi bien que les gens du monde. Pourvu qu'ils aient récité quantité de Pater ou lu nombre de pages sur un recueil, ils se croient fort dévots et âmes de grande oraison.
Evidemment, il y a des prières à réciter d'une manière distincte : l'office ecclésiastique, les formules indulgenciées, le saint Rosaire, la pénitence imposée par le confesseur, etc. Mais quand il s'agit d'une prière laissée à notre choix, elle sera certainement plus efficace, plus fervente, si nous l'adressons à Dieu mentalement, si elle est un mouvement spontané de notre cœur vers lui. Inutile d'invoquer ici le témoignage de l'Ecriture ou celui des Pères ; notre expérience suffit. Dites-moi, ô Chrétien, quand vous lisez dans un formulaire ou que vous récitez de mémoire une suite d'oraisons, n'est-il pas vrai que vous vous sentez presque toujours distrait, le cœur sec, et que votre imagination se livre à tous les écarts ? Au contraire, si vous répandez votre cœur devant Dieu par une prière mentale, tout votre être est concentré sur ce colloque intime, une douce onction, une ineffable consolation vous pénètre tout entier.
Puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne pas changer vos longues prières vocales contre l'oraison mentale ? Comment s'y prendre ? dites-vous. Jésus vous l'enseigne : « Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles comme font les païens qui s'imaginent d'être exaucés à force de paroles... Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez » . Ainsi donc employez peu de mots, contentez-vous d'exposer vos besoins au Père du ciel. Plus votre prière sera simple, humble, candide, plus elle plaira à Dieu et sera puissante auprès de lui. Témoin le publicain de l'Evangile. Il se tenait à la porte du temple, n'osant lever les yeux au ciel, et se frappait la poitrine disant : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur » . Sans doute, il aura répété maintes fois la même supplication, et à chaque fois son repentir aura été plus parfait.
Ailleurs, nous voyons la cananéenne suivre le Sauveur et crier : « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi ! ». Elle aussi a répété sans se lasser le cri de son cœur de mère, puisque les disciples priaient le Seigneur de l'exaucer pour les délivrer de ses cris. Vous connaissez le miracle obtenu par cette prière.
Enfin, au Jardin des Oliviers, Jésus-Christ lui aussi a répété trois fois sa prière : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi! Cependant, que votre volonté soit faite et non la mienne ». Voulant nous enseigner par là que pour bien prier, peu de paroles suffisent, et que pour enflammer l'esprit, il est bon d'en choisir quelques-unes et de les répéter souvent.
Il est rapporté dans la vie des Pères, que saint Paphnuce après avoir converti la pécheresse Thaïs, l'enferma dans une étroite cellule, percée d'une seule fenêtre, par laquelle on lui portait chaque jour du pain et de l'eau pour sa nourriture. Puis, comme elle lui demandait à quelles prières elle devait s'appliquer, il lui dit : « A cause de tes énormes péchés, tu n'es pas digne de prononcer le nom de Dieu; pour toute prière, dis seulement ces paroles : « Vous qui m'avez créée, ayez pitié de moi ! » Pendant trois ans, la recluse pénitente soupira de cette manière vers son Créateur, lavant ses péchés de ses larmes. Or, une nuit, Paul, disciple de saint Antoine, eut une vision : le ciel s'ouvrait, et un trône magnifique y était préparé pour un bienheureux. Tandis qu'il se demandait à tant de gloire était réservée, une voix lui dit : « Ce trône est destiné à la pécheresse Thaïs. » Informé de cette vision, saint Paphnuce rendit la liberté à sa pénitente, et Thaïs mourût saintement quelques jours plus tard.
De même, saint Antoine, solitaire, avait un disciple qui vint lui manifester un jour son grand désir d'aller visiter d'autres solitaires renommés, pour apprendre d'eux la bonne manière de servir Dieu et de prier. « Mon fils, lui dit le saint, oubliez tous les autres exercices, demeurez dans votre cellule, répétez du fond du cœur ces paroles du publicain : Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur ; et vous serez parfait. »
Oui, quand vous voulez prier efficacement, soupirez dans votre cœur : Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Vous en aurez dit assez, car ces paroles renferment la confession de nos péchés, aussi bien que la demande du pardon. Qui dit : Mon Dieu, ayez pitié de moi ! reçoit le pardon de ses péchés et n'a plus de châtiment à craindre. Qui dit : Ayez pitié de moi ! gagne le royaume du ciel, car celui que Dieu prend en pitié n'est pas seulement délivré de la peine due au péché, il est encore autorisé à rentrer en possession des biens éternels. Ah ! puisque tel est le mérite de cette brève aspiration, répétez-la sans cesse, comme si elle était la respiration même de votre âme.
J'insiste sur ce point : ne surchargez pas votre mémoire de longues et nombreuses formules ; il suffit de quelque courte invocation, choisie parmi celles qui touchent l'âme le plus vivement et l'inclinent vers l'humilité et la contrition. Cette aspiration répétée renouvellera à chaque instant votre esprit. Eussiez-vous imploré la miséricorde divine mille et mille fois comme la pécheresse Thaïs, ne vous laissez pas de l'implorer encore nuit et jour, jusqu'au dernier instant de votre vie.
Les belles paroles n'émeuvent notre Dieu : c'est le cœur contrit et humilié qui lui fait violence. Du reste, pour le choix plus facile, nous avons réuni ci-après un certain nombre d'oraisons jaculatoires. Ces rapides élans de l'âme peuvent se pratiquer avec grand fruit, même pendant la récitation des heures canoniales, car ils excitent l'amour de Dieu et prémunissent l'esprit contre les distractions. Assurément, le texte sacré du saint Office doit être prononcé seul, mais il est très bon d'entremêler à la prière quelques soupirs enflammés, pour affermir la dévotion et la soutenir jusqu'au bout.
CHAPITRE QUATRIEME
COMBIEN LA MÉDITATION EST FACILE
Je n'écris pas ceci pour des personnes savantes et spirituelles, mille fois plus habiles que moi dans l'oraison. Mon livre s'adresse aux âmes simples ; c'est elles que je veux enseigner à faire oraison. Désir ambitieux, car le plus souvent elles témoignent une grande appréhension de cette manière de prier. Elles ne veulent pas même en entendre parler et prétendent ensuite que la pratique en est impossible. Or, comme la méditation est indispensable pour atteindre à la vraie dévotion ; comme sans elle toutes les autres pratiques de piété ne sont plus de que sèches et inutiles répétitions; je prendrai par la main ces âmes simples et droites et les conduirai sur un chemin doux et facile jusqu'à la vraie méditation.
Les maîtres de la vie spirituelle apprennent à leurs disciples une méthode précise pour méditer les mystères de la vie et de la mort du Seigneur, la laideur du péché, l'amertume de la mort, les frayeurs du jugement, les tourments de l'enfer, la misère humaine. Ils leurs disent de considérer ces points, de raisonner quelque temps, de produire ensuite des actes de crainte, de haine, d'amour, de compassion. Certes je ne désapprouve pas cette méthode.
Il me semble cependant, que l'âme retirerait déjà un grand avantage, si elle se bornait à une vive représentation du mystère qu'elle veut méditer, et si, sous cette impression, elle envoyait vers Dieu des soupirs et de brûlantes aspirations. Ainsi, au lieu de vous fatiguer l'esprit à chercher des arguments et des considérations élevées, suivez la simple marche que voici.
Arrivé au lieu de la prière, jetez-vous à genoux, tracez sur vous le signe de la croix, invoquez l'Esprit-Saint. Adorez le Dieu trois fois saint, et, rempli du sentiment de sa présence adorable, soupirez vers lui, implorez l'abondance de sa grâce. Un exemple vous fera mieux saisir ma pensée.
Le serviteur d'un roi était, pour certain crime, tombé en sa disgrâce. Un jour enfin, trouvant l'occasion favorable d'être admis à l'audience royale, il se jeta aux genoux du prince et d'une voix émue et les yeux pleins de larmes, il s'écria : « Très gracieux seigneur, j'ai grièvement offensé votre majesté et encouru sa juste indignation, cependant j'ose me prosterner à vos pieds et solliciter mon pardon ! » Le roi feignit de ne pas entendre cette humble supplique ; néanmoins le coupable, toujours prosterné, attendait une réponse qui n'arrivait pas. Après un certain temps, ce malheureux reprit la parole avec un profond soupir : « Ah ! Monseigneur, pour l'amour de Dieu, daignez me pardonner ! » Mais le souverain irrité gardait le silence, tandis que le serviteur repentant dont les soupirs et les sanglots remplissaient la salle, continuait de crier : « Grâce et pardon ! » — « Sortez d'ici », commanda enfin le roi d'un ton sévère. Le lendemain, cet infortuné serviteur trouvait encore moyen d'être admis à l'audience. Il s'approcha de son maître avec la même humilité et lui dit d'une voix touchante : « Mon maître et mon roi, quoique je n'aie pu rien obtenir hier, je reviens à vous avec une confiance plus parfaite en votre bonté ; me voici de nouveau aux pieds de votre majesté pour solliciter le pardon de mon crime. » Ne recevant pas de réponse, il persistait dans ses plaintes, ses gémissements et ses supplications. Le roi regardait avec complaisance un si touchant repentir, et s'il retint les élans de son cœur pendant de longues semaines, c'était pour mieux éprouver la persévérance de son cher pénitent. Enfin il n'y tint plus, et l'attirant dans ses bras, il l'embrassa paternellement, l'assurant de son plein pardon.
Chrétien, quand vous venez à l'audience du Roi des rois, conduisez-vous comme cet habile solliciteur. Rappelez-vous bien que le Dieu de toute sainteté, n'habite pas seulement au plus haut des cieux. Mais qu'il est là, tout proche de vous ; bien plus, il a choisi votre cœur pour y reposer comme sur un trône royal. Représentez-vous donc ce Dieu plein de majesté, de gloire et de lumière, adorez-le, confessez-lui vos innombrables péchés, suppliez-le de vous les pardonner. Alors sans contrainte, sans détourner votre âme de sa céleste occupation, dites en la savourant une des aspirations, qui vous sont familières et répétez-la aussi longtemps qu'elle entretiendra votre dévotion.
Pensez aussi au publicain qui n'osait avancer dans le temple ni lever les yeux vers le ciel, mais disait en se frappant la poitrine : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur ! » Ayez pitié de moi ! voilà bien la prière de votre cœur. Dites - la profondément incliné, comme écrasé sous le poids de vos péchés ; frappez-vous la poitrine et recommencez à soupirer au fond de l’âme : « Seigneur!... Pitié !... Miséricorde ! » et après une pause : « O mon Dieu, ayez pitié du plus misérable des pécheurs ! » Ainsi votre oraison peut se prolonger assez longtemps, et ne fussiez-vous occupé qu'à cela durant tout un quart d'heure, ce temps aura été bien employé.
Vous le voyez, ma manière de faire oraison est extrêmement simple et convient fort bien aux personnes sans prétention. En vérité, ces pauvres âmes en retireraient un avantage incomparable, infiniment plus grand que celui qui leur revient de leurs rosaires, non médités et récités du bout des lèvres. Si elles voulaient pratiquer journellement cette méthode durant un mois, elles avanceraient à grand pas dans la vie spirituelle. Aussi je les supplie, ces chères âmes, d'en essayer au moins une seule semaine, et elles verront si elles ne ressentent pas plus de dévotion qu'elles n'en ont jamais eu dans leurs autres prières.
Cette méthode, dans sa simplicité, convient également aux personnes instruites, car les paroles du publicain renferment tout ce qui peut être nécessaire à l'homme, dans le temps et dans l'éternité. Si sa prière est exaucée, n'aura-t-il pas reçu le seul bien désirable ? Quelqu'un s'étonnerait-il de mes assertions ? Qu'il écoute la voix de l'éternelle Vérité : Celui-ci (le publicain) s'en retourna justifié. C'est-à-dire, de scélérat il fut transformé en homme pieux, de pécheur public en homme juste, d'enfant de colère en fils du Père céleste, héritier du royaume des cieux. C'est là le sens de la parabole et la raison pour laquelle Jésus-Christ enseigne en quelque façon cette formule à tout le monde. Il veut nous faire imiter la conduite du publicain au temple et que tous nous répétions sa prière.
J'ajoute que cette supplication est d'autant plus efficace que, peu à peu, elle touchera votre âme, jusqu'à ce qu'elle l'ait enfin remplie d'une sincère contrition. Saint Antoine aussi témoigne en sa faveur, quand il dit à son disciple : « Oubliez tous les autres exercices et répétez du fond du cœur : Mon Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur ! et vous serez parfait. » O la puissante prière qui assure la vie éternelle à celui qui la répète souvent et sincèrement !
Thaïs, avec d'autres mots, exprimait le même sentiment. Aussi, si vous êtes fatigué de la formule ci-dessus, essayez celle de la sainte pénitente : « Vous qui m'avez créé, ayez pitié de moi ! » ou encore : « Seigneur, qui m'avez sauvé, ayez pitié de moi! » Sortie du fond d'un cœur contrit et humilié, cette prière vous assurera avec le pardon une immense gloire au ciel.
Vous pouvez également employer le cri de la cananéenne : « Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi ! » Ce cri a chassé le démon de la fille possédée et transformé la mère en disciple du Seigneur. « Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi ! » « Jésus, Fils de Marie, ayez pitié de moi ! Jésus, Fils du Dieu éternel, ayez pitié de moi ! » Soyez-en sûr, quand vous aurez redit ces paroles ou d'autres semblables avec beaucoup de ferveur, Satan et se* suppôts se retireront et l'exercice des vertus vous deviendra facile.
Résumons. — Le publicain, Thaïs, la cananéenne, voilà bien les maîtres de la prière pour les commençants. Leur âme doit s'appliquer uniquement à demander grâce et miséricorde. Les saints de l'ancien testament n'ont guère fait d'autre prière : Miserere : ayez pitié, mon Dieu! En cela ils montrent une profonde sagesse, car les vertus de l'homme et ses mérites, sans la miséricorde et la grâce de Dieu, ne sauraient avoir de valeur. La grâce, - l'amitié de Dieu, voilà l'incomparable trésor de l'âme, il n'y en a pas de plus grand. Comment alors passer son temps à demander autre chose ? Et comment implorer plus efficacement cette grâce que par ce transport du cœur, par cet élan vers Dieu : Seigneur, ayez pitié de moi ! Notre cœur, fût-il de pierre, à force de redire cette invocation, il deviendra sensible ; le regret d'avoir offensé le Dieu qu'on implore se ferait sentir, et quand le repentir entre dans une âme, le péché en sort, la grâce divine s'y établit.
Il est bon d'entremêler à la prière ainsi comprise des soupirs d'amour. Voici un trait de l'efficacité merveilleuse de ces sortes d'élévations du cœur vers Dieu.
Un jour, Notre-Seigneur dit à sainte Mechtilde : « Le soupir est si puissant, parce que l'homme ne soupire jamais vers moi sans s'approcher davantage de mon cœur. » Le gémissement du repentir réconcilie l'âme avec Dieu, appelle la grâce et attire la lumière dans une conscience troublée. Quant au soupir d'amour, au soupir du désir d'amour, il opère trois effets dans l'âme. Il la fortifie comme une odeur agréable réconforte le corps, il l'illumine comme le soleil illuminerait le plus profond abîme, enfin, il y répand une telle onction que toutes les actions, toutes les souffrances mêmes en sont adoucies.
Est-ce assez témoigner de la préférence du Seigneur pour les élans du pauvre cœur humain vers son Sacré Cœur? Je vous en conjure donc de nouveau, appliquez-vous bien pendant l'oraison à ces mouvements et à ces transports de crainte et d'amour. Puisque Jésus-Christ attache trois fruits excellents à chacun de vos soupirs, calculez, si vous pouvez, l'abondante récolte qui vous attend au ciel quand vous aurez bien exploité vos oraisons. Que dis-je? c'est toujours et partout que vous pouvez recueillir ces fruits, puisque aucun travail, aucun temps, aucun lieu, ne saurait vous empêcher de prier ainsi.
Cette méthode pourra être appliquée avec succès, soit à demander telle vertu particulière, soit à recommander à Dieu notre prochain, ses intérêts spirituels et même temporels, soit enfin, à obtenir l'exaltation de la sainte Eglise, la conversion des pécheurs, l'extirpation des hérésies, etc.
CHAPITRE CINQUIEME
DE LA PRIÈRE EN ESPRIT
On peut s'entretenir avec Dieu ou prier de quatre façons : de bouche, de cœur, on esprit et d'une manière ineffable qui absorbe toutes les facultés de l'âme et se nomme oraison d'union. Les Chrétiens sans ferveur prient généralement de bouche : les commençants dans la vie spirituelle prient de cœur; ceux qui sont plus avancés prient en esprit, c'est-à-dire sans le secours de paroles intérieures ou extérieures, mais par de puissants désirs, par une affectueuse et tranquille contemplation. L'oraison d'union est le partage des parfaits ; c'est une grâce gratuite qui échappe à toute analyse.
Donc, si quelqu'un s'est exercé à la manière des commençants, telle que je l'ai expliquée au chapitre précèdent, et s'il se sent appelé de Dieu à un degré plus élevé, qu'il quitte la prière de cœur pour prier en esprit. il lui sera aisé de reconnaître que Dieu l'appelle à ce changement, quand la prière vocale ne le satisfera plus et qu'il trouvera, au contraire, beaucoup de facilité à la prière mentale.
A ce degré de contemplation, il faut encore se conduire comme les •débutants : s'agenouiller en face du Dieu trois fois saint avec la plus profonde humilité, préparer son âme à l'auguste entretien, se tourner vers la divine Majesté et la considérer amoureusement. Ce regard de l'âme veut dire encore : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Mon Dieu, ne rejetez pas un pauvre pécheur ! »
Dieu entend ce langage muet de la contemplation mieux que toutes nos paroles, car Dieu scrute le fond des âmes ! il voit ce que nous voudrions dire, les œuvres que nous voudrions accomplir. Ce que nous souhaitons, cherchons, désirons, il le voit, et le sait beaucoup mieux que nous-mêmes ; aussi toute notre prière consiste-t-elle dans les désirs du cœur, dans la volonté de désirer ; les mots importent peu. Comme ici un cœur bon, une intention sincère, des désirs ardents suffisent, l'ignorant peut y arriver de même que le savant. Ainsi donc quand vous voulez prier ou jouir de la présence de Dieu, fixez le regard de votre âme sur ce Père très bon comme un mendiant regarde le riche à qui il demande l’aumône ; ce regard lui en dira plus qu'un grand nombre de paroles.
C'est la prière de Marie-Madeleine aux pieds de Jésus : pour implorer son pardon, elle n'a pas prononcé un mot : l'Evangile raconte qu'elle a pleuré, soupiré, regardé le Seigneur. Aussi le pharisien n'a pas compris sa prière et s'est scandalisé, tandis que Jésus, non content de l'accueillir avec une complaisance sans pareille, lui pardonnait tous ses crimes et embrasait son cœur d'une divine charité.
C'est la prière dont David chantait : « Le Seigneur a exaucé les désirs des pauvres ; de ses oreilles il a entendu la préparation de leur cœur ». Il veut dire : le Seigneur n'exauce pas seulement la prière articulée de l'homme, mais aussi ses désirs affectueux, il est attentif à la disposition même du cœur avant qu'il ne formule sa demande. C'est enfin la prière toute de soupirs et de saintes ardeurs que l'Esprit-Saint pratique et nous exhorte à pratiquer, selon cette parole de l'Apôtre : « Le Saint-Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier, et il prie pour nous avec des gémissements inénarrables » . En d'autres termes, le Saint-Esprit nous inspire ce que nous devons demander et comment nous devons le demander : il excite en nous ces soupirs et ces désirs, afin que nous apprenions à imiter sa propre prière. S'il vous arrivait néanmoins, de sentir votre cœur distrait, abandonné, aride, décochez vite une flèche vers le Sacré Cœur : « Seigneur, hâtez-vous de me secourir ! » , ou bien avec saint Macaire : « Seigneur, ayez pitié de moi, comme vous savez et comme vous voulez le faire! »
Mais si vous ne pouvez persévérer dans la contemplation et si le temps s'écoulait en distractions, revenez à la prière du cœur. Quant aux distractions, il ne faut pas s'en affliger ni s'en tourmenter ; malgré nos efforts, il n'est pas toujours en notre pouvoir d'y échapper, il suffit qu'elles déplaisent. On s'en détourne et l'on revient à la contemplation. La faute serait de demeurer sciemment dans la distraction ; ce serait tourner le dos, pour ainsi dire, à Dieu lui-même, pendant qu'il daigne nous donner audience. Quelle insulte envers le Maître du ciel et de la terre ! Enfin les âmes arrivées à la contemplation ne doivent omettre aucun des points marqués dans les chapitres précédents, sinon les paroles intérieures remplacées par les désirs affectueux et les soupirs d'amour. L'essentiel pour ceux qui avancent dans l'oraison, aussi bien que pour les parfaits, c'est de ne jamais s'écarter de l'humilité, du respect, de la crainte de Dieu et d'une sincère contrition. Oui, je le répète, pécheurs ou justes, novices ou maîtres dans la vie spirituelle, jamais nous ne devons perdre de vue notre misère et nos fautes.
« Mes péchés se sont élevés au-dessus de ma tête ; ils mont accablé comme un lourd fardeau » . Or, David qui parlait ainsi, s'était rendu coupable de deux crimes seulement et il n'a cessé de les pleurer. A son exemple, les personnes dévotes doivent continuellement demander pardon à Dieu, selon l'avis de l'Esprit-Saint : « Celui qui aime Dieu, demandera la rémission de ses péchés. — Le juste ouvrira sa bouche dans la prière, il implorera le pardon de ses transgressions ». Remarquez bien, l'Esprit-Saint ne dit pas : Le pécheur demandera pardon ; il dit : Le juste et celui qui aime Dieu. C'est donc une stricte obligation pour les âmes pieuses de revenir toujours à l'acte de contrition.
La raison en est que personne n'est absolument sûr d'avoir obtenu le pardon de ses péchés. En serait-il sûr, il y aurait encore à craindre, puisque l'Esprit-Saint nous dit : « Ne sois pas sans crainte quant à tes péchés remis ». Aussi David, malgré l'assurance que le Seigneur a ôte ses péchés, continue à les pleurer nuit et jour : « J'ai gémi et lavé mon lit de mes pleurs. — Je reconnais mon iniquité, mon péché est sans cesse devant moi ». L'apôtre saint Pierre, sainte Marie-Madeleine, la pécheresse Thaïs et beaucoup d'autres saints nous donnent le même exemple.
L'histoire rapporte un trait semblable de saint François d'Assise. Il se Mouvait dans la solitude avec frère Léon. Tout à coup, le souvenir de ses fautes, qui ne pouvaient être que rares et légères, l'occupa si vivement qu'il se mit à crier : « O François, tu as commis tant de péchés dans le monde, que tu mérites bien l’enfer ! — O François, tu as infligé à ton Dieu des injures si graves et si multipliées, que tu es digne de l'éternelle malédiction ! — O mon Dieu, Seigneur du ciel et de la terre, mes iniquités s'élèvent contre moi ; je mérite d'être exclu de votre gloire et condamné au feu éternel ! — Misérable François, pourras-tu bien obtenir le pardon de ce Dieu offensé ? Ingrat, trouveras-tu miséricorde auprès de lui ? »
Le séraphique Père accompagnait ses paroles de soupirs, de sanglots et de larmes ; on l'eût cru le dernier des criminels. Cependant le frère Léon, éclairé d'une lumière surnaturelle, If rassurait sur tous les points et lui promettait la vie éternelle.
« L'homme vraiment raisonnable, dit saint Ambroise, a toujours ses fautes devant les yeux et quand il prie, son péché frappe à la porte je sa conscience. » Saint Jean Chrysostome ajoute : « Rien de plus ancien ni de plus « site au monde que la méditation du péché.
Demander la miséricorde, implorer le pardon, a toujours été la voie la plus sûre pour arriver à la perfection. »
Suivez cette voie, ô Chrétien, qui que vous soyez, ecclésiastique ou séculier, docte ou ignorant, novice dans l'oraison, déjà avancé en sainteté, ou même parfait ; je vous le dis : ne cessez jamais de pleurer vos péchés passés.
Que diront de ce conseil ceux qui, à peine échappés au monde, à peine arrachés au vice, entrant à peine dans le sentier de la vertu, oublient déjà leurs inclinations perverses aussi bien que leurs péchés, et, oubliant en même temps la crainte du juste Juge, vivent tranquilles comme s'ils n'avaient jamais transgressé la loi ?
Gerson raconte avoir vu des hommes qui ne pouvaient souffrir le souvenir de leurs péchés ni les exhortations à la pénitence. Ils prétendaient que ces sortes d'exercices étaient bons seulement pour les mondains et les grands pécheurs, ou tout au plus pour les commençants dans l'oraison. Quant à eux, il n'était plus question que d'exercices sublimes, de ravissements, d'oraison d'union, d'anéantissement dans l'abîme de la divinité. Beaucoup parmi eux étaient des ecclésiastiques, prélats élevés en dignités, riches de toutes sortes de vertus et distingués par l'esprit de prière. Mais parce qu'ils rejetaient la connaissance d'eux-mêmes et le souvenir de leurs péchés, souvenir qui nous maintient dans l'humilité et la crainte de Dieu, ils tombèrent, peu à peu, dans une très grande confiance en eux-mêmes, se laissèrent tromper par le démon et se perdirent.
Evitez leur malheur ; persévérez dans le souvenir de vos péchés et enfoncez-vous de plus en plus dans l'humilité. Tenez aussi pour certain que vous n'aurez médité utilement, progressé dans l'oraison, la vie spirituelle et la complaisance du Seigneur qu'autant que vous serez plus humble à la fin de votre prière. Oui, le signe assuré d'une prière vraiment sainte, la preuve que Dieu a opéré un bien dans votre âme, c'est l'accroissement et la perfection de l'humilité.
On ne doit pas s'imaginer que la méthode que nous proposons soit trop simple pour les parfaits ou incapables d'élever les âmes à l'état de perfection. Au contraire : quiconque l'emploiera avec constance, passera presque sans s'en apercevoir d'un degré d'oraison à l'autre et arrivera, comme naturellement, au plus élevé. Cette méthode, en effet, supprime l'écueil qui empêche tant d'âmes d'arriver par une autre méthode ou par une autre voie au plus haut degré de la contemplation et de la vie spirituelle. Car il arrive malheureusement que beaucoup de personnes s'attachent aux opérations naturelles de leur propre entendement, qu'elles prennent pour des opérations divines, et, qu'y trouvant une satisfaction, un contentement d'elles-mêmes et de leur état, elles ne se mettent pas en peine d'aller plus loin. Notre méthode, par sa simplicité même, met à l'abri de cet écueil.
Comme le premier degré d'oraison consiste dans l'entretien cœur à cœur avec Dieu, le second à converser avec lui par un regard amoureux de l'âme et de tendres aspirations : le troisième consiste dans la pure pensée et le souvenir de Dieu. Cette pensée et ce souvenir ne doivent pas être naturels, mais procéder d'une opération divine par laquelle l'âme, au moment où cette opération se produit, est mise en parfaite jouissance de Dieu. Elle n'a alors d'autre effort à faire que de se maintenir le plus longtemps possible dans cette pensée et ce souvenir, contemplant son Dieu par la foi, d'une manière intime, et s'unissant à lui très étroitement.
Je ne m'occuperai pas de ce troisième degré ou oraison d'union, de peur d'être l'aveugle qui conduit l'autre aveugle et que nous ne tombions ensemble dans le précipice. Si une âme était avancée jusqu'à ce point qu'elle n'offrit plus aucun obstacle à l'action divine, et que cela lui fût utile, Dieu l'introduirait pour ainsi dire de sa propre main dans cet état. Mais si l'âme malgré ses efforts, demeure toute la vie dans un état d'oraison inférieur à celle des parfaits, qu'elle remercie Dieu de la grâce de persévérance qui lui a été accordée et qu'elle ne mette en doute ni la miséricorde de Dieu envers elle, ni son amour.
LA PRIERE DU CŒUR par Père Martin de Cochem
ORAISONS JACULATOIRES
O Dieu, ayez pitié d'un pauvre pécheur !
Seigneur, miséricorde!
Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi!
Vous qui m'avez créé!
Vous qui m'avez racheté!
Vous qui m'avez sanctifié!
O Jésus, ayez pitié de moi!
Mon Dieu, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde!
Ne me perdez pas pour l'éternité, ne m'abandonnez pas!
O Jésus, venez à mon secours, assistez-moi, protégez-moi!
Je me recommande à vous, je m'offre à vous, je vous donne mon âme et mon corps!
Je me réfugie dans votre Cœur, ô Jésus, je me cache dans vos plaies, je m'abîme dans votre miséricorde!
Mon Dieu, que je suis misérable! Mon Dieu, que je suis méchant!
Ayez pitié d'un infortuné!
Ayez pitié d'un impie!
O Dieu de bonté, ayez pitié de moi!
Du fond du cœur, je soupire vers vous, ô mon Dieu!
Dieu très bon, très miséricordieux, ne m'abandonnez pas!
Si vous me délaissez, je suis sans ressources; si vous me repoussez, je suis perdu!
Qui me recevra, ô mon Dieu, si vous m'abandonnez? Nul n'est si bo>i que vous, au ciel et sur la terre!
Souvenez-vous de l'ouvrage de vos mains, ô mon Dieu, et de la noblesse dans laquelle vous m'avez créé!
Ne souffrez pas que votre enfant vous échappe et soit la proie du démon!
Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains!
***
Je crois en vous, Dieu tout-puissant, mon légitime Seigneur et Maître.
Vous êtes mon Créateur, mon Rédempteur; seul vous avez un entier pouvoir sur mon être.
Je crois tout ce que vous avez révélé, parce que vous l'avez révélé.
Je crois tout ce que croit la sainte Eglise catholique, je désire vivre et mourir dans cette foi.
Quoique beaucoup d'articles de foi dépassent mon intelligence, je les tiens pour révélés de Dieu.
Je proteste de ma foi, par serment, et suis prêt à donner ma vie pour cette foi.
O mon Dieu, prenez soin de ma foi, fortifiez-la, conservez-la.
Si, à l'heure de ma mort, quelque tentation contre la foi venait m'assaillir, je proteste d'avance contre elle et la déteste de tout mon oœi;r.
Mon Dieu, étendez la foi catholique dans tout l'univers, détruisez l'erreur, extirpez les hérésies.
Ramenez à la foi les âmes égarées, ne les laissez pas se perdre éternellement.
***
Mon Dieu, vous m'avez destiné à la béatitude éternelle, j'espère que vous m'y conduirez.
Quoique les bonnes œuvres soient nécessaires pour gagner le ciel, je ne compte pas sur celles que j'ai pu faire, parce qu'elles sont petites et imparfaites.
Je me confie en vos promesses, ô mon Dieu; vos promesses sont la vérité même.
J'espère ma part de votre héritage, ô mon Dieu, puisque vous m'avez adopté pour votre enfant.
J'espère dans les mérites que Notre-Seigneur Jésus-Christ a légués à ses fidèles.
J'espère en sa Passion très douloureuse, par laquelle il a satisfait pour mes péchés.
J'espère en sa mort très amère, par laquelle il nous a rachetés de la mort éternelle.
J'espère en la vertu des sacrements que Jésus-Christ a bien voulu me faire recevoir.
J'espère dans le saint Sacrifice de la Messe, institué pour mon salut.
J'espère en la protection de la Sainte Vierge et en la fidèle assistance des Saints.
J'espère surtout, ô mon Dieu, en votre infinie bonté, en votre miséricorde, qui n'a jamais manqué à une âme confiante.
Je m'appuie si fortement sur cette miséricorde qu'il me paraît impossible de me perdre.
Et alors que j'aurais commis plus de péchés encore, je ne perdrais point l'espoir d'être sauvé!
Car votre miséricorde dépasse infiniment mes crimes.
Le nombre de mes péchés ne saurait arrêter l'effet de votre miséricorde.
Au contraire, plus le pécheur est coupable, plus il vous revient d'honneur de son salut, puisque votre miséricorde y brille d'un plus grand éclat.
J'espère donc en vous, ô bonté infinie; je me confie en vous, ô miséricorde sans bornes de mon Dieu!
Cette ferme espérance, ni les hommes ni les démons ne l'ébranleront jamais.
Si, à la dernière heure je venais à chanceler, ô Seigneur, affermissez-moi !
J'ensevelis mon espoir dans votre Cœur sacré, afin qu'il y demeure inébranlable à jamais.
***
O Dieu, je voudrais répandre mon cœur en votre présence, le voir enflammé de votre amour!
Semblable à une tendre fiancée, je voudrais m'entretenir avec vous, ô mon céleste Epoux, et vous dévoilai? l'amour de mon âme.
Car vous êtes, ô Seigneur, l'Epoux choisi de mon cœur, son unique trésor.
Personne au monde ne saurait m'aimer d'un amour semblable au vôtre : c'est pourquoi mon âme s'attache à vous uniquement.
Ah! que ne puis-je comprendre l'intensité de votre amour pour y répondre dignement.
Je vous aime, ô mon Dieu, autant que je le puis, mais moins que je ne voudrais et ne devrais vous aimer.
Faites que je vous aime davantage. Découvrez-moi vos charmes et mon cœur s'enflammera d'une divine charité.
O Dieu! vous êtes le Dieu d'amour! Vous êtes admirable et le Dieu de toute beauté, de toute douceur. Vous êtes infiniment aimable, plein de douceur, de miséricorde, de grâce, de magnificence et de gloire.
Tout le bien que l'esprit peut imaginer et le cœur désirer est en vous, ô mon Dieu!
Qui donc ne vous aimerait pas, ô suprême bien?
Je vous aime, ô mon Dieu, oui, je vous aime, mais que cet amour est misérable, froid, imparfait, inconstant!
Purifiez-le, mon Dieu, enflammez-le, fortifiez-le.
Blessez mon cœur des flèches de votre divine charité, brûlez-le de vos divines flammes.
Esprit-Saint, vous qui remplissez de vos feux les âmes des fidèles, consumez mon cœur de l'amour divin.
Unissez mon cœur au Cœur de Jésus, afin que les flammes du Sacré Cœur dévorent le mien.
Quand donc brûlerai-je de l'amour de mon Dieu, quand donc lui serai-je indissolublement uni, quand l'amour m'aura-t-il transformé?
O Dieu, ce moment béni ne serait-il pas venu? Mon cœur tressaille^ je le sens brûler dans ma poitrine!
Je vous aime, ô Dieu le Père; je vous aime, ô Dieu le Fils; je vous aime, ô Dieu le Saint-Esprit.
Trinité sainte, je vous adore, je vous aime, maintenant et à jamais.
Je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, de toutes mes forces.
O Dieu si doux, ô Dieu si bon, Je vous aime! Vous êtes mon Père, mon ami, mon frère, mon époux, mon unique bien, ma seule consolation.
Vous êtes mon espoir, mon salit, mon bonheur; Vous êtes mon Dieu et mon tout.
Mon âme se réjouit et mon esprit tressaille en vous, mon Seigneur et mon Dieu.
O joie sans pareille d'aimer un si grand bien et de le posséder à jamais !
Aidez-moi, Seigneur, à vous connaître davantage pour que mon amour augmente de plus en plus.
O Dieu d'amour, votre désir est d'être uni aux hommes par l'amour. O Seigneur, établissez en moi le règne de votre charité !
Traduction française par A. Rugemer, o. s. c.
Ouvrage publié en allemand en 1896 et en français en 1899.
http://jesusmarie.free.fr/martin_de_cochem_la_priere_du_coeur.html