BRUNO

BRUNO (+ 1101) écrits

Saint, fondateur des chartreux

 

« Si je t'oublie, Jérusalem... »

 

Que tes demeures sont désirables ! Mon âme a désiré entrer jusque dans les parvis du Seigneur, c'est-à-dire dans l'ample espace de la Jérusalem céleste, qui est la cité de Dieu.

Le psalmiste montre alors pourquoi il a désiré entrer dans les parvis du Seigneur, et voici cette raison : Seigneur, Dieu des puissances célestes, mon roi et mon Dieu, heureux les habitants de ta maison, la Jérusalem céleste ! C'est comme s'il disait : Qui n'aurait ce désir d'entrer dans tes parvis, puisque tu es Dieu, et donc Créateur, Seigneur des puissances, Roi, et qu'ils sont heureux, tous les habitants de ta maison ? Parvis et maison, ici, désignent la même réalité. Lorsque le psalmiste dit que leurs habitants sont heureux, il signifie que le bonheur dont ils jouissent est aussi grand qu'on peut l'imaginer. Et si l'on peut être certain de leur bonheur, c'est qu'ils te loueront, Seigneur, dans un amour fervent, pour les siècles des siècles, c'est-à-dire pour l'éternité. Leur louange ne serait pas pour l'éternité, si leur bonheur ne l'était pas aussi. 

À ce bonheur, personne ne peut atteindre par lui-même ; il faut qu'il ait l'espérance, la foi et l'amour. Mais heureux est cet homme-là, c'est-à-dire : à ce bonheur parvient seul cet homme-là dont la force est en toi, Seigneur, pour monter les degrés du bonheur, ces degrés qu'il a disposés dans son cœur. Autrement dit : parviendra au bonheur celui-là seul qui, en se préparant dans son cœur à monter vers ce bonheur par les nombreux degrés des vertus et des bonnes œuvres, reçoit le secours de ta grâce. Par lui-même il est incapable de monter, comme l'atteste cette parole du Seigneur : Nul ne monte au ciel, à savoir par lui-même, sinon le Fils de l'homme, qui est au ciel.

Je dis que cet homme a disposé en son cœur les degrés, en tant qu'il vit encore dans cette vallée de larmes, c'est-à-dire dans cette existence qui est humble et remplie de larmes en comparaison de l'autre vie : de celle-ci, comparée à la première, il faut dire qu'elle est une montagne, et que la joie la remplit.

Du fait de cette parole : Heureux l'homme dont la force est en toi, on pourrait poser cette question : Dieu fournit-il un secours dans ce but ? Et la réponse sera : oui, vraiment, le secours de Dieu est pour cet homme heureux. En effet, le Législateur, c'est-à-dire le Christ, qui nous a donné la loi, nous donne et nous donnera aussi avec constance ses bénédictions, les dons multiples de sa grâce ; par eux il bénira ses serviteurs, il les élèvera vers le bonheur. Et par ses bénédictions, les fidèles monteront de vertu en vertu, iront de hauteur en hauteur. Et à l'avenir, dans la Sion du ciel, on verra le Christ, le Dieu des dieux, c'est-à-dire celui qui, du fait qu'il est Dieu, déifiera aussi les siens. Ou encore : en ceux qui existeront en Sion on verra spirituellement le Dieu des dieux le Dieu Trinité. Ce qui revient à dire : Ils verront par la raison Dieu en lui-même, lui qu'ici-bas ils ne peuvent voir. Dieu en effet sera tout en tous.

COMMENTAIRE DE SAINT BRUNO SUR LE PSAUME 83

« Jésus se rendit dans la montagne, à l'écart, pour prier »

 

Cher frère, j'habite un désert situé en Calabre et assez éloigné de tous côtés des habitations des hommes ; j'y suis avec mes frères religieux, dont certains pleins de science ; ils montent une garde sainte et persévérante, dans l'attente du retour de leur Maître, pour lui ouvrir dès qu'il frappera (Lc 12,36). (...)

Ce que la solitude et le silence du désert apportent d'utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, ceux-là seuls le savent qui en ont fait l'expérience. Là, en effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant qu'ils le désirent, demeurer en eux-mêmes, cultiver assidûment les vertus et se nourrir avec bonheur des fruits du paradis. Là on s'efforce d'acquérir cet œil dont le clair regard blesse d'amour le divin Époux et dont la pureté donne de voir Dieu. Là on s'adonne à un repos bien rempli et on s'apaise dans une action tranquille. Là Dieu donne à ses athlètes, pour le labeur du combat, la récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans l'Esprit Saint. (...)

En effet qu'est-ce qu'il y a de plus contraire à la raison, à la justice, à la nature même, que de préférer la créature au Créateur, de poursuivre les biens périssables plus que les biens éternels, ceux de la terre plus que ceux du ciel ? (...) La Vérité donne ce conseil à tous : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos » (Mt 11,28). N'est-ce pas une peine par trop ingrate et stérile d'être tourmenté par la concupiscence, affligé sans cesse par les soucis, les anxiétés, les craintes e les douleurs engendrés par ces désirs ? (...) Fuis, mon frère, toutes ces inquiétudes, passe de la tempête de ce monde au repos tranquille et sûr du port.

Lettre à Raoul le Verd, 4, 6, 8, 9 ; SC 88
(Lettres des premiers chartreux, trad. par un chartreux,
éd du Cerf, 1962 ; p. 69-75 ; rev.)