Marie-Anne Sala
(1829-1891)
Bienheureuse, Religieuse de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Marceline
Fête le 24.11
Bien cher Ami de l'Abbaye Saint-Joseph,
Dans l’après-midi du 29 janvier 1920, à Cernusco sul Naviglio, près de Milan, deux Sœurs de la Congrégation des Marcellines, accompagnées de leur chapelain, assistent à l’exhumation de trois religieuses défuntes, en vue de transférer leurs restes au cimetière du couvent. La scène ne promet rien de réjouissant, et cependant... Le temps a fait son œuvre sur les corps des deux premières Sœurs déterrées; mais lorsqu’il parvient au cercueil de la troisième, Sœur Marie-Anne Sala, le fossoyeur le trouve si pesant qu’il pense que la dépouille mortelle n’est pas décomposée. En effet, à l’ouverture de la bière, apparaît, sous le linceul resté blanc comme neige, le corps intact, au visage frais et rosé. Le chapelain, qui n’a pas connu Sœur Sala, en conclut: «C’était une jeune Sœur. Elle ne devait pas avoir plus de trente ans.» Or, à son trépas, Sœur Marie-Anne avait 62 ans, et elle était ensevelie depuis 29 ans!
Informée du fait, la supérieure générale des Sœurs marcellines remet entre les mains du Seigneur cette découverte insolite. Quelques jours plus tard, Sœur Gulfi est prise d’hémorragies si graves que l’on envisage pour elle une intervention chirurgicale. La Mère générale demande à la malade d’invoquer pendant trois jours le Sacré-Cœur de Jésus pour que, par l’intercession de Sœur Marie-Anne Sala, l’opération soit évitée. Trois jours après, Sœur Gulfi est hors de danger. Aussitôt, on recueille témoignages et documents sur Sœur Marie-Anne. Beaucoup se souviennent d’elle, de sa vie toute simple, et de ses vertus humblement pratiquées dans les nécessités quotidiennes de sa charge. De nombreuses personnes avaient proclamé, à son décès, qu’elle était une sainte, en particulier ses Sœurs et ses anciennes élèves. Aussi, en mai 1931, commence à Milan le procès qui aboutira à la béatification de la Sœur le 26 octobre 1980. À cette occasion, le Pape Jean-Paul II mettra en relief trois enseignements tirés de sa vie et de son exemple: «La nécessité de former et de posséder un bon caractère, ferme, sensible, équilibré; la valeur sanctifiante de l’engagement dans le devoir assigné par l’obéissance; l’importance essentielle de l’œuvre pédagogique.»
Marie-Anne Sala est née et a reçu le baptême le 21 avril 1829, à Brivio, en Italie du Nord. Sa famille, qui vit dans l’aisance, est fidèle aux traditions chrétiennes en cette Lombardie alors province de l’Autriche. Marie-Anne est la cinquième de huit enfants. Son père, un homme très croyant, travaille dans le commerce du bois. Par l’exemple de leur vie authentiquement chrétienne, les parents Sala orientent leurs enfants vers Dieu, tout en veillant sur eux avec une sage prévoyance. Marie-Anne connaît une enfance heureuse, et fait ses premières études à la maison. La fillette est très douée, d’un esprit vif et équilibré. Dès l’âge de 13 ans, elle est envoyée au collège établi l’année précédente à Vimercate par les Sœurs marcellines. La Congrégation des Marcellines a été fondée en 1838 par le directeur spirituel du grand séminaire de Milan, Don Biraghi, et par la Mère Marina Videmari, Milanaise elle aussi. Le but premier de cet Institut est d’éduquer, à la lumière de la foi chrétienne, des jeunes filles, en leur permettant de suivre un sérieux programme d’études sans pour autant négliger les activités domestiques. La nouvelle famille religieuse s’est placée sous le patronage de la sœur de saint Ambroise, sainte Marcelline, qui avait reçu à Rome, en 353, des mains du Pape Libère, le voile des vierges consacrées. Dès son entrée au collège, Marie-Anne est en tête de classe; elle étudie avec assiduité jusqu’à en oublier parfois d’aller au réfectoire à l’heure des repas.
Une précieuse qualité
L’ardeur au travail, en elle-même, est une qualité, car «l’oisiveté est ennemie de l’âme» (Règle de saint Benoît, ch. 48). Le travail tient une place importante dans le plan de Dieu sur l’homme: dès l’origine, Dieu a voulu associer celui-ci à l’œuvre de sa création et lui confier la mission de soumettre la terre et de la gouverner avec sainteté et justice, en sorte que le nom même de Dieu soit glorifié par tout l’univers. Le travail permet d’assurer sa propre subsistance et celle de sa famille; il est aussi l’occasion de s’associer à d’autres hommes et de rendre service. Par le devoir d’état accompli avec soin et conscience professionnelle, chacun contribue au développement de sa nation et de la société. L’Église «exhorte les chrétiens à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l’esprit de l’Évangile. En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien plus, envers Dieu Lui-même, et il met en danger son salut éternel» (Vatican II, Gaudium et spes, 43). Certaines personnes ne peuvent pas exercer un travail professionnel à cause de la maladie, du chômage ou de l’âge. Il leur est alors suggéré d’offrir leur état et leurs souffrances à Dieu, en union à la Passion de Jésus, ce qui peut leur procurer une grande fécondité spirituelle pour le salut des âmes.
Le Pape saint Pie X a exposé, dans une très belle prière à saint Joseph, de quelle manière un chrétien peut sanctifier son travail: «Glorieux saint Joseph, modèle de tous ceux qui sont voués au travail, obtenez-moi la grâce de travailler en esprit de pénitence pour l’expiation de mes nombreux péchés; de travailler en conscience, mettant le culte du devoir au-dessus de mes inclinations; de travailler avec reconnaissance et joie, regardant comme un honneur d’employer et de développer par le travail les dons reçus de Dieu; de travailler avec ordre, paix, modération et patience, sans jamais reculer devant la lassitude et les difficultés; de travailler surtout avec pureté d’intention et avec détachement de moi-même, ayant sans cesse devant les yeux la mort et le compte que je devrai rendre du temps perdu, des talents inutilisés, du bien omis et des vaines complaisances dans le succès, si funestes à l’œuvre de Dieu. Tout pour Jésus, tout pour Marie, tout à votre imitation, patriarche Joseph! Telle sera ma devise à la vie, à la mort. Ainsi soit-il.»
Présence nécessaire
Le 16 novembre 1846, Marie-Anne obtient son diplôme d’aptitude à l’enseignement élémentaire. Percevant clairement l’appel du Christ, elle désire entrer aussitôt chez les religieuses qui l’ont formée; mais le jour même, un cousin vient la chercher pour la ramener à Brivio. Le mauvais état de santé de sa mère, les multiples exigences d’une famille nombreuse, les difficultés économiques dues à une escroquerie dont son père a été victime, exigent la présence sereine et prévenante de Marie-Anne à la maison. Sa mère l’estime beaucoup et son père puise dans son cœur la force du pardon chrétien et le courage nécessaire pour reprendre en main ses activités. L’assiduité de la jeune fille à l’ouvrage est communicative, mais son père proteste quand elle fait l’aumône à un pauvre: «À présent, dit-il, il faut penser à nous! – Il vaut mieux secourir un indigent, lui répond Marie-Anne; Dieu pensera à nous.» En plus du soin de sa famille, Marie-Anne trouve le temps de faire aux enfants la classe et le catéchisme. Avec une de ses sœurs, elle se rend volontiers à l’oratoire Saint-Léonard, petit sanctuaire à proximité du village, où l’on vénère une Madone. Beaucoup vont y déposer leurs douleurs personnelles; ils reçoivent en échange le réconfort qu’apporte l’espérance chrétienne et, parfois, de grandes faveurs. Leur mère étant tombée malade, les deux jeunes filles y prient tout spécialement la Vierge à son intention. Comme le rappelle un portrait souvenir de la famille Sala, la malade se sent alors guérie, avec la certitude d’avoir vu, près d’elle, la Vierge qui la bénissait.
Deux ans plus tard, la situation familiale s’est considérablement améliorée, et Marie-Anne peut rejoindre le couvent des Marcellines en compagnie de ses deux dernières sœurs, Geneviève et Lucie, admises comme collégiennes. Après son temps de formation, elle prononce ses vœux perpétuels, le 13 septembre 1852. Sa vie se déroule désormais selon les besoins d’une Congrégation enseignante. Plusieurs écoles des Marcellines bénéficieront de son apostolat fécond: celles de Cernusco, de la via Amedei, à Milan, de Gênes, de Chambéry en Savoie (durant les vacances automnales) et enfin, celle de Quadronno à Milan, pensionnat qui, à l’époque, est également la maison-mère. Malgré sa sensibilité vive et riche, Sœur Sala accueillera toujours avec un esprit docile ces changements qui ne seront pas sans l’affecter. D’abord maîtresse de français et de musique dans les classes élémentaires, elle reçoit, en 1868, la charge de vice-supérieure de la Congrégation. Puis elle part pour Gênes. Les parents d’élèves sont séduits par sa bonté. Les relations que Sœur Marie-Anne entretient avec les jeunes filles sont caractérisées par une grande franchise et beaucoup de loyauté. Elle veut la vérité en tout et pour tous.
Tout de suite
Son parfait esprit d’obéissance se manifeste à travers la totale dépendance dont elle fait preuve à l’égard de ses supérieures, et même de ses consœurs. «On aurait dit qu’elle avait fait vœu d’obéir à toutes les Sœurs», dit un témoin. Sa généreuse disponibilité envers ses élèves ou quiconque s’adresse à elle, est proverbiale. «Je viens tout de suite», tel est le mot d’ordre de toute sa vie irrévocablement offerte au service des autres. Ce “Je viens tout de suite” lui fait parfois interrompre les occupations les plus importantes. Ce constant souci de servir ne lui permet même pas de prolonger ses temps de rencontre intime avec le Seigneur, moments pourtant si ardemment désirés par son âme éprise de contemplation. Cette devise exprime sa réponse d’amour à Dieu dans un très grand esprit d’humilité et de pauvreté.
En 1878, Sœur Marie-Anne Sala revient à Milan, où, tout en continuant ses tâches éducatives, elle est à la fois assistante générale de la supérieure, chancelière et économe de la Congrégation. Ce changement lui coûte: «Très chère supérieure Catherine, écrit-elle à la supérieure du Collège de Gênes, le 1er novembre 1878, l’annonce de ma nouvelle destination m’est parvenue hier; l’effet qu’elle a produit sur mon âme, je n’arrive pas à l’exprimer tellement j’en suis encore tout étonnée. Mais, assez raisonné! Le Seigneur le veut ainsi, le Seigneur m’aidera. Est-ce là cette sainte indifférence dont nous parlions? Oh! J’ai encore tellement à faire pour l’acquérir! J’ai honte de moi-même en constatant qu’au moment même où je me croyais prête à n’importe quel sacrifice, concrètement, ma nature réagit encore si vivement... Et nos chères élèves? Les grandes surtout? Si vous saviez à quel point j’en sens la séparation! Je ne savais pas que je les aimais tant...» Toutefois, elle garde sa profonde paix intérieure.
La fondatrice, déjà âgée, l’emploie aussi comme secrétaire, si bien qu’on l’appelle bientôt le “bâton de vieillesse de la Mère”. Celle-ci la consulte souvent et lui confie les tâches délicates. Elle la considère comme une sainte; et, dans sa conviction qu’il faut mettre les saints à l’épreuve, elle ne la ménage guère, la traite sans complaisance et l’humilie. Elle la fait souffrir aussi par la vivacité de son tempérament difficile. Sœur Marie-Anne supporte pendant treize ans toutes les sautes d’humeur de la fondatrice. Malgré tout, elle lui reste profondément attachée par les liens du respect et de l’affection. Pour elle, devenir sainte est une question de vérité, de fidélité, de cohérence avec ses engagements de baptisée et de consacrée. Elle s’y applique très simplement; l’ascèse qu’elle s’impose est discrète, n’attire pas l’attention, mais l’exerce à pratiquer avec persévérance les vertus les plus ordinaires.
Douceur et bonté difficiles
Sœur Marie-Anne se montre également douce et bonne envers ses élèves. Pourtant, à cette époque, marquée en Italie par l’anticléricalisme des classes aisées, les jeunes filles se montrent parfois hautaines, insubordonnées, ne supportant ni la moindre contrariété ni la plus petite remarque. Sous l’inspiration du Saint-Esprit, Sœur Marie-Anne comprend que la solution pour exercer une réelle et bonne influence sur ses élèves est de s’imposer par une culture vaste et sûre; elle ne cesse donc de s’adonner à une étude personnelle intense, et acquiert une connaissance très approfondie de la littérature italienne, mais aussi des littératures étrangères, des sciences profanes (physique, chimie, botanique, médecine), et des sciences sacrées (théologie, philosophie, Écriture Sainte). Elle s’intéresse à l’art, en particulier à la musique, et aux méthodes pédagogiques. Elle se perfectionne aussi en latin et en grec, et parle le français et l’anglais à la perfection.
Elle s’adapte aux diverses intelligences, encourageant les meilleures, aidant les moins douées, qu’elle appelle ses joyaux. Durant sept ans, elle s’occupe particulièrement d’une enfant attardée. Sa méthode pédagogique s’emploie à harmoniser l’Évangile et la culture, la foi et la vie. En effet, les personnes consacrées qui se dévouent à l’éducation des enfants «sont appelées à faire entrer dans le champ de l’éducation le témoignage radical des biens du Royaume, proposés à tout homme dans l’attente de la rencontre définitive avec le Seigneur de l’histoire», comme le faisait remarquer le bienheureux Pape Jean-Paul II (Exhortation apostolique Vita consecrata, 25 mars 1996).
En histoire, par exemple, Sœur Marie-Anne montre que la puissance de Napoléon a commencé à décliner lorsque l’Empereur s’en est pris au Pape. Commentant le Paradis de Dante, elle allume dans les cœurs l’amour et le désir du Ciel. Expliquant l’Iliade, elle indique que l’idée de Dieu n’a manqué à aucun peuple.
Elle met en pratique l’enseignement de saint François de Sales: «Si vous aimez réellement Dieu, vous parlerez tout naturellement de Lui avec vos voisins et amis, non pas en faisant des sermons, mais avec l’esprit de douceur, de charité et d’humilité, distillant autant que vous le pourrez le miel délicieux des choses divines, goutte à goutte, tantôt dans l’oreille de l’un, tantôt dans l’oreille de l’autre, priant Dieu au secret de votre âme de faire passer cette sainte rosée jusque dans le cœur de ceux qui vous écoutent. Surtout, il faut faire cet office angélique doucement et suavement, non par manière de correction, mais par manière d’inspiration; car c’est merveille combien la suavité et amabilité d’une bonne parole est une puissante amorce pour attirer les cœurs» (Introduction à la vie dévote, 3e partie, ch. 26).
Une piété qui s’adapte
La tâche de Sœur Marie-Anne est souvent ingrate, mais elle ne se décourage pas. En 1869, elle donne à l’une de ses sœurs, devenue, elle aussi, marcelline, ces conseils: «Ne crois pas inutile la fatigue qui n’a pas immédiatement produit de fruit; aie patience et, avec l’aide de Dieu, tu pourras gagner beaucoup en travaillant à sa vigne. Si, par hasard, nous trouvons notre charge supérieure à nos forces, gardons-nous bien de perdre la tête: c’est alors que nous avons un motif et même le droit d’attendre une aide plus grande du Seigneur.» Elle ne transmet pas seulement un savoir intellectuel, pourtant si utile, à ses élèves, mais elle leur inculque également la sagesse et l’amour de Dieu. Pour elle, tout se passe en présence de Dieu, très simplement, et par son exemple, elle finit par faire aimer cette piété: «La vraie piété, dit-elle, est un trésor à tout âge et dans toutes les conditions d’existence. Elle sait s’adapter aux exigences de la famille et de la société, et se rendre aimable à tous.» Au procès de béatification, une élève déclarera: «En matière d’éducation, Sœur Marie-Anne n’avait qu’un seul but: former de vraies chrétiennes qui, par la suite, fonderaient des familles chrétiennes, propageant ainsi le Règne de Dieu.»
Sœur Marie-Anne désire ressembler à Jésus crucifié, sans rechercher pour autant les pénitences extraordinaires. «Pas besoin, dit-elle, de se flageller. Mais si, chaque jour, nous prenons en paix la croix que Dieu nous envoie, nous pouvons être certaines de notre salut. Même les plus petites peines que nous endurons sont d’un grand mérite... Les chagrins, mettez-les à la caisse d’épargne du bon Dieu, et vous les retrouverez dans l’autre vie (transformés en joies)... Le bois de la Croix sert merveilleusement à allumer le feu sacré de l’amour de Dieu.» Elle écrit à une religieuse: «Oh! Ma bonne Geneviève, ne cessons jamais de servir le Seigneur du mieux que nous le pouvons, même quand Il exige des sacrifices, si toutefois nous pouvons nommer ainsi ces petites difficultés que nous rencontrons dans la pratique des vertus. En effet, qu’est notre souffrance en comparaison de tout ce que Jésus, notre bien-aimé Époux, a souffert parce qu’Il nous aimait? Ne devrions-nous pas, au contraire, nous réjouir avec le Seigneur, et le remercier quand Il nous offre une bonne occasion de lui prouver notre amour et notre fidélité? Oh, oui! Livrons-nous entièrement au Seigneur et Il nous aidera à devenir saintes» (lettre du 16 octobre 1874). Elle conseille encore: «Chaque jour un pas de plus sur le chemin qui mène au bien et à la vertu, cette courageuse vertu qui se nourrit et se renforce de petits sacrifices si souvent exigés, même dans les meilleures conditions de vie et à l’âge le plus heureux.»
Sœur Marie-Anne a toujours le Seigneur avec elle. Ses élèves s’en aperçoivent, autant pendant les heures de classe, au cours desquelles leur attention et leur cœur sont retenus par ses explications toujours si frappantes, que lorsqu’elles se trouvent près d’elle à la chapelle pour la prière communautaire, ou quand elles la voient passer dans les couloirs, empressée, prise par mille et une responsabilités, mais surtout le soir, quand dans la pénombre du dortoir, elles l’observent, agenouillée près de son lit, recueillie en un dernier colloque intime avec Jésus crucifié.
Environ huit ans avant sa mort, alors que Sœur Marie-Anne vit au pensionnat de Quadronno, à Milan, les premiers symptômes du mal qui doit l’emporter se manifestent: une tumeur maligne à la gorge, facilement observable par l’enflure de son cou. Sœur Marie-Anne porte une écharpe noire pour cacher la déformation qui devient trop voyante. Et quand des douleurs aiguës l’obligent à interrompre ses cours, un doux sourire illumine encore son visage serein. Elle prend l’habitude de rire de son mal en surnommant la déformation de son cou: «Mon collier de perles». Elle endure de temps à autre une véritable torture qui lui arrache des larmes: «Excusez-moi, dit-elle alors, j’ai donné le mauvais exemple. Je serai plus attentive... Le mal m’aura fait gagner quelque chose pour le Paradis. Là-haut je prierai pour toutes. Comme il sera beau, le Paradis!»
Transfigurée
En octobre 1891, Sœur Marie-Anne est obligée d’in- terrompre son travail. La maladie a eu raison de sa résistance physique et morale. Les jours suivants sont marqués par d’extrêmes souffrances. Enfin, le 24 novembre, tandis qu’à la chapelle on chante les litanies de la Très Sainte Vierge, et que Sœur Marie-Anne, toute confiante en Dieu, répète de ses lèvres qui s’éteignent: «Priez pour moi», à l’invocation “Reine des Vierges”, elle rend doucement son âme à Dieu. Sur son lit de mort, elle semble transfigurée par une nouvelle beauté; même les traces du cancer qui l’a conduite à la mort ont disparu.
L’exemple tout simple de Sœur Marie-Anne Sala nous rappelle que nous sommes tous appelés à la sainteté: «Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang; dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence. Les fidèles doivent appliquer les forces qu’ils ont reçues, suivant la mesure du don du Christ, à obtenir cette perfection, afin que marchant sur ses traces et devenus conformes à son image, accomplissant en tout la volonté du Père, ils soient, de toute leur âme, voués à la gloire de Dieu et au service du prochain. Ainsi la sainteté du peuple de Dieu s’épanouira en fruits abondants, comme en témoigne avec éclat l’histoire de l’Église par la vie de tant de saints» (Concile Vatican II, Lumen gentium, 40).
Parcourir la voie de l’humilité et de la confiance en Dieu qui peut tout, tel est le message que la bienheureuse Marie-Anne Sala nous transmet par sa vie entière.
Dom Antoine Marie osb, abbé