Henri SUSO

Henri SUSO (v. 1295-1366) écrits

Bienheureux, dominicain

 

À la recherche de Jésus

 

Au sujet de la question : « Qu'est-ce que Dieu ? », tous les maîtres qui ont jamais existé n'ont pas pu l'expliquer, car il est au-dessus de toute pensée et de tout intellect. Et cependant, un homme zélé qui cherche avec application quelque connaissance de Dieu y parvient, quoique de façon très éloignée. (...) C'est ainsi que quelques maîtres païens vertueux l'ont cherché autrefois, en particulier le sage Aristote. Il a scruté le cours de la nature (...) ; il a cherché avec ardeur et il a trouvé. Il a déduit de la nature qu'il devait nécessairement y avoir un unique souverain, seigneur de toutes les créatures, et c'est ce que nous nommons Dieu. (...)

L'être de Dieu est une substance tellement spirituelle que l'œil mortel ne peut pas la contempler en elle-même, mais on peut la voir dans ses œuvres ; comme le dit saint Paul, les créatures sont un miroir qui reflète Dieu (Rm 1,20). Demeurons là un instant (...) ; regarde au-dessus de toi et autour de toi, comme le ciel est vaste et haut dans sa course rapide, avec quelle noblesse son Maître l'a paré de sept planètes, et comme il est orné par la foule innombrable des étoiles. Quand le soleil brille joyeusement et sans nuage l'été, que de fruits, que de bienfaits il apporte à la terre ! Comme les prés sont d'un beau vert, comme les fleurs sont riantes, comme le doux chant des petits oiseaux retentit dans la forêt et les campagnes, et tous les animaux qui s'étaient cachés pendant le dur hiver se pressent au dehors et se réjouissent ; comme, parmi les hommes, jeunes et vieux se montrent joyeux de cette joie qui leur apporte tant de bonheur. Ô Dieu tendre, si tu es tellement digne d'être aimé dans tes créatures, comme tu dois être beau et digne d'être aimé en toi-même !

Vie, ch. 50

Bien chers Amis,

On lit dans la Vie du bienheureux Henri Suso que sa mère ne pouvait assister à une Messe sans verser des larmes de compassion sur les souffrances de Jésus et de Marie dans la Passion. Devenu dominicain, Henri développera à son tour une dévotion très intense à Jésus dans sa Passion, prenant l’habitude de le suivre en un long chemin de croix.

Heinrich Seuse von Berg est né dans le quartier pauvre de la ville d’Überlingen, sur les rives du lac de Constance, vers 1295 environ, d’un père marchand de tissus et d’une mère issue d’une famille noble de Souabe. Le père, rempli de l’esprit du monde, combat parfois avec une certaine violence la manière de vivre de son épouse douce et très pieuse, pleine de l’Esprit de Dieu. La foi intense de celle-ci lui permet de surmonter ces épreuves. Il lui naîtra aussi une fille qui se donnera à Dieu dans l’Ordre de saint Dominique. Henri et sa sœur reçoivent une formation religieuse sérieuse et acquièrent grâce à elle un amour pour la nature, création de l’Amour divin. Leur mère meurt un Vendredi saint à l’heure de la mort de Jésus. Après le décès de son père, Henri aurait eu une vision de sa mère qui le suppliait d’intercéder pour celui-ci, condamné à un long purgatoire en raison de sa vie mondaine. Il aura la révélation que ses prières ont été exaucées.

Le Catéchisme de l’Église catholique enseigne: «Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu’assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d’obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel… Cet enseignement s’appuie aussi sur la pratique de la prière pour les défunts dont parle déjà la Sainte Écriture: Voilà pourquoi il (Judas Macchabée) fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leurs péchés (2M 12, 46). Dès les premiers temps, l’Église a honoré la mémoire des défunts et offert des suffrages en leur faveur, en particulier le sacrifice eucharistique, afin que, purifiés, ils puissent parvenir à la vision béatifique de Dieu. L’Église recommande aussi les aumônes, les indulgences et les œuvres de pénitence en faveur des défunts: “Portons-leur secours et faisons leur commémoraison. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père (cf. Jb 1, 5), pourquoi douterions-nous que nos offrandes pour les morts leur apportent quelque consolation? N’hésitons pas à porter secours à ceux qui sont partis et à offrir nos prières pour eux” (saint Jean Chrysostome)» (nos1030, 1032).

Henri entre chez les Dominicains de Constance à l’âge de treize ans, vers 1310, et, d’après une tradition, par vénération pour sa mère, il prend comme nom Seuse, latinisé en Suso. Les supérieurs de l’Ordre l’acceptent à un âge si précoce par exception, car ils discernent chez lui une claire vocation divine. L’Ordre des Prêcheurs est alors très florissant et ses couvents couvrent l’Europe chrétienne, mais la discipline n’est plus aussi rigoureuse qu’à ses débuts, et le cloître de Constance est sur la pente du relâchement. De fait, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, la vie religieuse d’Henri manque de ferveur, comme il l’avouera lui-même. Il comprend et veut le bienfait de l’obéissance religieuse et prononce ses vœux en toute sincérité, mais sans grands désirs d’ascèse personnelle. Il s’adonne aux études: latin, qu’il maîtrisera parfaitement, logique et rhétorique, puis étude des Constitutions des Dominicains, philosophie et théologie selon l’enseignement de saint Thomas d’Aquin.

Au cours de ces années, il entend louer la divine Sagesse que l’on dit être une amie d’élection. Son cœur s’éprend de cette Sagesse, mais il reste attiré par les joies temporelles et un combat intérieur a lieu dans son âme. Il désire pourtant ardemment voir la Sagesse. Un jour, alors qu’il a dix-huit ans, celle-ci lui apparaît « lointaine, mais toute proche de son cœur». Elle se montre à lui à la fois sublime et humble. Tantôt elle lui paraît sous les traits d’une pure et charmante vierge, tantôt sous ceux d’un jeune homme d’une exquise beauté. «Mon enfant, lui dit-elle, donne-moi ton cœur.» Enthousiaste devant cette beauté, Henri rayonne d’un bonheur divin. Toutefois, après cette grâce, les tentations reviennent et le submergent, le poussant à aimer les choses présentes plutôt que les futures.

La miséricordieuse Sagesse

À la suite d’une nouvelle vision, un jour de la fête de sainte Agnès, Suso comprend que la Sagesse est plus spécialement l’attribut du Fils au sein de la Trinité.

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) expliquera lui aussi: «La Sagesse substantielle et incréée est le Fils de Dieu, la seconde Personne de la très Sainte Trinité, autrement dit la Sagesse éternelle dans l’éternité, ou Jésus-Christ dans le temps…» (L’amour de la Sagesse éternelle, nos 13, 19).

La Sagesse dit à Frère Henri: «C’est moi la tendre, la miséricordieuse Sagesse qui ai ouvert tout grand l’abîme de ma miséricorde infinie afin de t’accueillir avec douceur, toi et les cœurs repentants. C’est moi, la douce Sagesse, qui me fis pauvre et misérable afin de te ramener à ta dignité; c’est moi qui ai souffert la mort cruelle afin de te rendre la vie… C’est moi, ton frère, regarde, c’est moi ton époux! J’ai aussi complètement oublié tout ce que tu as jamais fait contre moi que si cela n’avait jamais été, pourvu que tu reviennes complètement à moi désormais et que tu ne te sépares plus de moi» (Livre de la Sagesse éternelle, ch. 5).

Comprenant le danger des contacts avec le monde, Frère Henri ne se rend plus au parloir qu’en cas de nécessité. Les Pères du Désert deviennent ses maîtres. Il lit dans les écrits de saint Jean Cassien: «C’est le Christ mourant sur la croix qui doit être notre modèle.» Souhaitant s’unir le plus possible à la Passion du Seigneur par la contemplation, il suit le conseil que lui donne la Sagesse: «Quant aux autres exercices, pauvreté, jeûne, veilles, et toutes autres mortifications, dirige-les vers cette fin (la contemplation) et pratique-les dans la mesure où ils pourront te faire avancer.» En vaillant soldat du Christ, il commence à se livrer à de grandes pénitences. Profondément épris d’amour pour le Christ, il grave dans sa chair (exemple à ne pas suivre!) les lettres IHS, qui signifient Jésus..

Après 1320, Suso, ayant achevé le cycle ordinaire des études, est envoyé à Cologne au studium général de l’Ordre, pour y approfondir sa connaissance de la Bible et de la théologie scolastique. Il suit avec avidité l’enseignement de professeurs illustres, mais plus particulièrement les commentaires bibliques de Maître Eckhart, professeur qu’il apprécie beaucoup. Par ses conseils personnels, ce dernier aide son élève à vaincre un grave scrupule qui aurait pu mettre sa vocation en péril. Frère Henri lui en gardera une profonde reconnaissance. Mais Maître Eckhart est en butte à la contradiction de plusieurs, parmi lesquels deux Pères dominicains, et dès 1325, il est suspecté de professer des doctrines hétérodoxes. En 1327, il proteste de son orthodoxie et déclare rétracter toutes les erreurs qui auraient pu se glisser dans ses sermons et écrits. Et pourtant, en 1329, le Pape Jean XXII, qui réside en Avignon, déclare suspectes, dans la bulle In agro dominico, vingt-huit thèses de Maître Eckhart. Celui-ci était mort le 28 janvier 1328, et Suso n’était probablement plus alors à Cologne.

En 1992, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a déclaré que la réhabilitation d’Eckhart demandée au Saint-Siège par le chapitre général des Dominicains n’avait pas lieu d’être, car cet auteur n’a pas été condamné personnellement.

Suso rédige un Petit Livre de la Vérité où il reprend les thèses de son maître en supprimant toute équivoque.

Souffrir vaillamment les mépris

Plein de ferveur spirituelle, il souffre de la légèreté des étudiants et des maîtres qui ne recherchent pas la sainteté de la vie mais la prétention et la jactance. Il rentre à Constance vers 1327 et y reprend un style de vie plutôt solitaire, tout en assumant la charge de lecteur (premier grade de professeur chez les Dominicains). En cette qualité, il enseigne et dirige les études de tous les Frères, mission spécialement importante chez les Dominicains voués à l’étude. Toutefois, son enseignement n’est pas toujours bien accepté, car il est encore considéré comme un disciple d’Eckhart. Dénoncé comme hérétique par deux dignitaires de l’Ordre, il est envoyé à un chapitre général qui se tient aux Pays-Bas, probablement celui de Maastricht en 1330. Il s’y présente tout tremblant et on lui adresse de sévères reproches en le menaçant de peines rigoureuses. À son retour à Constance, la charge de lecteur lui est retirée. Un jour, voyant un chien jouer avec un bout de tissu, il considère cela comme un signe de la Providence qui l’appelle à faire des pénitences non plus extérieures mais intérieures, à être le bout de tissu, jouet de ses frères. Il jette alors dans le Rhin les instruments de pénitence dont il se servait. Prosterné devant le crucifix, il demande au Seigneur: «Apprends donc à ton serviteur à souffrir vaillamment, pour ton amour, les mépris et les railleries.» La véritable sainteté passe en effet par l’acceptation des épreuves que la Providence permet. De fait, il devient l’objet de calomnies et de détractions, et se voit abandonné par plusieurs de ses amis.

«La pénitence, dira Mme Royer, une mystique du début du xxe siècle, confidente du Sacré-Cœur de Jésus, ne consiste pas à s’ingénier dans la recherche de sacrifices ou de voies extraordinaires, mais c’est dire “amen” à toutes les occasions de se mortifier que la vie se charge de nous proposer sans cesse. C’est accepter la croix que Dieu pose continuellement sur nos épaules.» Dans le même sens, Sœur Lucie, la voyante de Fatima, écrira à l’évêque de Leiria: «Dieu est peiné de voir un si petit nombre d’âmes en état de grâce, et disposées à renoncer à tout ce qu’Il leur demande pour adhérer à sa Loi. Et c’est précisément la pénitence que le Bon Dieu exige maintenant, c’est le sacrifice que chacun doit s’imposer… Dieu veut pour mortification l’accomplissement simple et honnête des tâches quotidiennes, et l’acceptation des peines et des ennuis. Et Il désire qu’on montre clairement ce chemin aux âmes, car beaucoup s’imaginent que “pénitence” signifie grandes austérités et, n’ayant ni la force ni la magnanimité pour les entreprendre, ils se découragent» (20 avril 1943).

Les “Amis de Dieu”

Le duc Louis IV de Bavière (1286-1347) s’est fait couronner empereur du Saint-Empire romain germanique en 1328, sans l’aval du Pape Jean XXII; celui-ci l’excommunie, ce qui entraîne de graves conséquences sociales. La chrétienté se divise en partisans du Pape ou de l’empereur. L’Ordre dominicain se montre dans son ensemble fidèle au Pape. Suso souffre beaucoup de cette division. D’autres fléaux s’abattent alors sur la société: les sauterelles dévorent les récoltes en 1338; trois ans après, des inondations causent d’énormes ravages. En 1348, la peste noire sème la terreur dans tout l’Occident et provoque la mort d’un tiers au moins de la population; des tremblements de terre causent la mort d’environ cinq mille personnes. Devant ces maux, les Chrétiens fervents affermissent leur vie spirituelle. Ils se sentent pressés de consoler par beaucoup d’amour le Christ, Dieu souffrant, que tant d’autres délaissent. Un grand réseau de piété s’étend sur toute l’Allemagne du Sud. Ils se nomment “amis de Dieu”, et ont pour dessein d’aimer le Sauveur, s’unir à ses saints mystères par la prière et les sacrements, s’appliquer à l’imitation de sa vie et connaître, s’Il leur en fait la grâce, l’union parfaite avec lui.

Déchargé de la mission de lecteur, le Père Henri, qui a alors une quarantaine d’années, se voit confier un ministère de direction spirituelle auprès des religieuses de son Ordre, puis d’autres communautés, comme les Bénédictines. Ces religieuses apprécient beaucoup sa direction et conçoivent pour lui une véritable vénération. Sœur Élisabeth Stagel, religieuse d’un couvent dominicain près de Winterthur, devient sa fille spirituelle. Initiée à la doctrine de Maître Eckhart, elle est avide de ses enseignements. Il lui découvre bien des secrets de sa propre vie. Il écrit aussi de nombreuses lettres qui témoignent de ses saintes amitiés.

Suso parcourt donc, à pied, la Suisse, l’Alsace, la vallée du Rhin. Il ne passe jamais à proximité d’une église sans aller saluer l’Hôte divin. Son âme de poète se plaît à admirer la campagne, et à s’entretenir avec la Sagesse. «Aimable Seigneur, écrit-il, si je ne suis pas digne de te louer, mon âme désire pourtant que le ciel te loue lorsque dans sa beauté la plus ravissante, il est illuminé en sa pleine clarté par l’éclat du soleil et la multitude innombrable des étoiles lumineuses. Que les belles campagnes te louent lorsque, dans les délices de l’été, elles brillent selon leur noblesse naturelle dans la multiple parure de leurs fleurs et leur exquise beauté… Il n’est pas dans le temps de meilleur prélude au séjour des cieux que de louer Dieu dans la joie et l’allégresse» (Livre de la Sagesse éternelle, ch. 24). On lit encore dans la Vie: «Les bras de mon âme s’étendent, tout chargés de la multitude innombrable des créatures, et c’est pour les exciter toutes à chanter joyeusement leur reconnaissance au Créateur…» En effet, comme l’explique saint Ignace, «les autres choses (que l’homme) ont été créées pour aider celui-ci dans la poursuite de la fin pour laquelle Dieu l’a créé», à savoir: «Louer, honorer et servir Dieu» (Exercices spirituels, n°23).

Rompre le pain

Il arrive à Suso de partir à la recherche des brebis égarées dans les quartiers pauvres et les campagnes. Il veut «rompre le pain pour les petites gens et le distribuer aux foules». Sa spiritualité s’inspire non seulement de la Bible mais aussi des saints Pères, particulièrement saint Augustin. Pour lui, il est clair que l’interprétation de l’Écriture doit s’accorder avec l’opinion communément reçue dans l’Église.

«La sainte Tradition, en effet, la Sainte Écriture et le magistère de l’Église, par une très sage disposition de Dieu, sont tellement reliés et solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste sans les autres, et que toutes ensemble, chacune à sa façon, sous l’action du seul Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes» (Vatican II, Dei Verbum, n°10, § 3; cf. CEC, n°95).

Vers 1348, Suso écrit le Livre de la Sagesse éternelle, le seul dont l’authenticité intégrale ne fasse pas de doute. Dans les années 1330, peut-être même en 1339, il avait déjà publié un livre assez semblable quant à son sujet, l’Horloge de la Sagesse, mais dont le style et le ton sont pourtant passablement différents. Dans celui de la Sagesse éternelle, il écrit pour animer ou développer l’amour de Dieu dans les cœurs. La Sagesse lui dit: «Si tu veux me contempler dans ma Déité incréée, tu dois apprendre à me connaître et à m’aimer dans ma nature humaine qui a souffert, car c’est la voie la plus rapide vers l’éternelle béatitude.» Aussi Suso propose-t-il à son lecteur de méditer avec lui la Passion du Christ. La Sagesse continue: «Vois: la contemplation assidue de mes aimables souffrances transforme un homme simple en maître accompli. C’est un livre vivant dans lequel on trouve toutes choses. Qu’il est donc heureux l’homme qui l’a en tout temps devant les yeux et l’étudie! Que de sagesse et que de grâces il peut acquérir, que de consolation et de douceur! Quelle aversion du péché, quel sentiment constant de ma présence!» (ch.14). Suso évoque aussi la Vierge et sa présence au Calvaire dans une indicible affliction.

Le dialogue avec la Sagesse comporte également les visions des souffrances de l’enfer et de la joie immense du Royaume des cieux, deux vérités révélées par Jésus lui-même. Le désir de Suso est de «retirer les hommes de la profonde ornière de leur vie pécheresse pour les amener à la véritable beauté».

Il montre clairement les deux voies, dont le Catéchisme dit: «La voie du Christ mène à la vie, une voie contraire mène à la perdition (Mt 7, 13). La parabole évangélique des deux voies reste toujours présente dans la catéchèse de l’Église. Elle signifie l’importance des décisions morales pour notre salut» (CEC, n°1696). Le concile Vatican II rappelle, lui aussi, l’enjeu de la vie ici-bas: «Ignorants du jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants pour mériter, quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre, d’être admis avec lui aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu, au lieu d’être, comme de mauvais et paresseux serviteurs, écartés par l’ordre de Dieu vers le feu éternel, vers ces ténèbres du dehors où seront les pleurs et les grincements de dents» (Lumen Gentium, n°48).

Le Catéchisme enseigne: «Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, et qui sont parfaitement purifiés, vivent pour toujours avec le Christ. Ils sont pour toujours semblables à Dieu, parce qu’ils le voient tel qu’il est, face à face» (CEC, n°1023).

Suso décrit le ciel: «Dans la céleste patrie, tu es tellement entouré d’amis que celui qui t’est le plus étranger, parmi cette foule innombrable, t’aime avec plus d’amour et de fidélité qu’aucun père, aucune mère n’ont jamais pu en témoigner… Regarde toi-même la belle plaine céleste: ah! voici toutes les délices de l’été, voici les prairies dans la lumière de mai, voici la vallée des vraies joies! Voici, entre ceux qui s’aiment, des regards joyeux échangés; voici des harpes, des violes, voici des chants, des ébats, des danses, des rondes, une joie parfaite et sans fin, voici tout désir comblé, voici la joie sans souffrance dans une sécurité qui durera toujours.» Et il conclut: «Ah! Seigneur, fais que mon âme ne perde jamais de vue ce double spectacle de l’enfer et du ciel, afin que plus jamais je ne perde ton amitié!» (ch. 12)

Le Livre de la Sagesse comprend une deuxième partie où Suso enseigne l’art de bien mourir. L’homme n’a pas à redouter la mort quand il s’y est préparé: «Dispose-toi au départ car, en vérité, tu es comme un oiseau sur la branche et comme un homme qui, du rivage, guette le passage du navire rapide où il doit monter et qui l’emmènera vers le pays étranger d’où il ne reviendra jamais» (ch. 21). Suivent deux méditations sur le sacrement de l’Eucharistie et sur la louange de Dieu en tout temps.

Les œuvres de Suso ont eu un très grand succès à la fin du Moyen Âge. Parmi ses lecteurs connus se trouvent Thomas a Kempis, l’auteur présumé de l’Imitation de Jésus-Christ et le martyr anglais saint John Fischer.

« Aidez-moi à prier ! »

Refusant d’obéir aux ordres schismatiques de Louis de Bavière, les Dominicains doivent s’exiler. Ils quittent Constance et se réfugient à Diessenhoven. Suso est nommé prieur de la communauté. Il est soumis à toutes sortes d’épreuves dues à son apostolat, à des malveillances à son égard, à des accidents de santé et à une affreuse calomnie sur ses mœurs qui le torture intérieurement. Il est envoyé au couvent d’Ulm en 1347-48, d’où il entreprend de nombreux voyages pastoraux. Ses dernières années sont sereines. Le 25 janvier 1366, Suso est à l’agonie. Sur sa dure couche, il prie le Christ: «Je Te prie de me purifier dans ton Sang précieux, Toi si clément!» Puis, il appelle ses saints de prédilection, saint Dominique, saint Thomas, saint Nicolas: «Élevez vos mains, aidez-moi à prier le Ciel!» Lorsque les Frères agenouillés autour de sa couche entonnent le Salve Regina, il ajoute: «Je remets mon âme entre tes mains, ô mon épouse, ô ma Mère!… Je te recommande les miens dans un même amour.» Puis il rend son âme à Dieu. Il a été béatifié en 1831 par le Pape Grégoire XVI. Sa fête est célébrée le 25 janvier.

Demandons au Bienheureux Henri Suso de nous faire connaître et aimer la Sagesse éternelle, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu et de nous fortifier pour Lui rendre témoignage.

Dom Jean-Bernard Marie, o.s.b.