Paulin de NOLE
(355-431)
écrits
évêque
« Qu'il prenne sa croix et qu'il me suive »
Accomplissant le dessein mystérieux de sa bonté, le Seigneur assume la condition de serviteur et consent à s'abaisser pour nous jusqu'à la mort de la croix (Ph 2,8). Par cet abaissement visible, il réalise notre élévation jusqu'au ciel, qui est intérieure et invisible. Regarde où nous étions tombés dès le commencement ; comprends-le bien, c'est par le dessein de la sagesse et de la bonté de Dieu que nous sommes rendus à la vie. Avec Adam nous étions tombés par orgueil ; c'est pourquoi nous nous abaissons dans le Christ afin d'effacer l'ancienne faute par la pratique de la vertu opposée. Nous avons offensé le Seigneur par orgueil, nous lui plaisons maintenant par notre humilité.
Réjouissons-nous, glorifions-nous dans le Seigneur qui a fait nôtres son combat et sa victoire en nous disant : « Courage, car j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33)... Lui, l'invincible, combattra pour nous et il vaincra en nous. Alors le prince des ténèbres sera jeté dehors (cf Jn 12,31), car s'il n'est pas chassé du monde où il est partout, il est chassé du cœur de l'homme : la foi, lorsqu'elle pénètre en nous, le repousse pour faire place au Christ dont la présence jette le péché dehors...
Que les orateurs gardent leur éloquence, les philosophes leur sagesse, les rois leurs royaumes : pour nous, la gloire, les richesses et le royaume, c'est le Christ ; pour nous la sagesse, c'est la folie de l'Évangile ; pour nous la force, c'est la faiblesse de la chair, et la gloire, c'est le scandale de la croix (1Co 1,18-23).
Lettre 38, 3-4.6 ; PL 61, 359 (trad. Orval rev.)
« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1Co 4,7)
« Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? » nous dit saint Paul (1Co 4,7). Ne soyons donc pas avares de nos biens comme s'ils nous appartenaient... On nous en a confié la charge ; nous avons l’usage d’une richesse commune, non la possession éternelle d’un bien propre. Si tu reconnais que ce bien n’est à toi ici-bas que pour un temps, tu pourras acquérir au ciel une possession qui n'aura pas de fin. Rappelle-toi ces serviteurs dans l'Évangile qui avaient reçu des talents de leur maître, et ce que le maître, à son retour, a rendu à chacun d'eux ; tu comprendras alors que déposer son argent sur la table du Seigneur pour le faire fructifier est beaucoup plus profitable que de le conserver avec une fidélité stérile sans qu'il rapporte rien au créancier, au grand dommage du serviteur inutile dont le châtiment sera d'autant plus lourd...
Prêtons donc au Seigneur les biens que nous avons reçus de lui. Nous ne possédons rien en effet qui ne soit un don du Seigneur, et nous n’existons que parce qu’il le veut. Que pourrions-nous considérer comme nôtre, puisque, en vertu d'une dette énorme et privilégiée, nous ne nous appartenons pas ? Car Dieu nous a créés, mais il nous a aussi rachetés. Rendons grâces donc : rachetés à grand prix, au prix du sang du Seigneur, nous ne sommes plus des choses sans valeur… Rendons au Seigneur ce qu'il nous a donné. Donnons à Celui qui reçoit en la personne de chaque pauvre. Donnons avec joie, pour recevoir de lui dans l’allégresse, comme il l’a promis.
Lettre 34, 2-4 ; PL 61, 345-346
(trad. Orval et Delhougne, Les Pères commentent, p. 305)
« Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance, je suis vainqueur du monde »
Depuis l'origine du monde, le Christ souffre dans tous les siens. Il est « le commencement et la fin » (Ap 1,8) ; caché dans la Loi, révélé dans l'Évangile, il est le Seigneur « toujours admirable » qui souffre et triomphe « dans ses saints » (2Th 1,10; Ps 67,36 LXX). En Abel, il a été assassiné par son frère ; en Noé, il a été ridiculisé par son fils ; en Abraham, il a connu l'exil ; en Isaac, il a été offert en sacrifice ; en Jacob, il a été réduit en servitude ; en Joseph, il a été vendu ; en Moïse, il a été abandonné et repoussé ; dans les prophètes, il a été lapidé et déchiré ; dans les apôtres, il a été persécuté sur terre et sur mer ; dans ses nombreux martyrs, il a été torturé, assassiné. C'est lui qui, maintenant encore, porte notre faiblesse et nos maladies, car il est homme lui-même, exposé pour nous à tous les maux et capable de prendre en charge la faiblesse que, sans lui, nous serions totalement incapables d'assumer. C'est lui, oui c'est lui qui porte en nous et pour nous le poids du monde afin de nous en délivrer ; voilà comment « la force donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2Co 12,9). C'est lui qui en toi supporte le mépris, et c'est lui que ce monde hait en toi.
Rendons grâces au Seigneur, car s'il est mis en cause, il remporte la victoire (cf Rm 3,4). Selon ce mot de l'Écriture, c'est lui qui triomphe en nous lorsque, prenant la condition de serviteur, il acquiert pour ses serviteurs la grâce de la liberté.
Lettre 38, 3-4 : PL 61, 359-360.