Césaire d'ARLES

Césaire d'ARLES

(470-543)

écrits

Saint, moine et évêque

« Qu'il me suive »

 

Quand le Seigneur nous dit dans l'évangile : « Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même », nous trouvons qu'il nous commande une chose difficile et nous considérons qu'il nous impose un lourd fardeau. Mais si celui qui commande nous aide à accomplir ce qu'il commande, cela n'est pas difficile...

Où devons-nous suivre le Christ, sinon là où il est allé ? Or, nous savons qu'il est ressuscité et monté aux cieux : c'est là que nous avons à le suivre. Il ne faut certainement pas nous laisser envahir par le désespoir, car, si nous ne pouvons rien par nous-mêmes, nous avons la promesse du Christ. Le ciel était loin de nous avant que notre Tête y soit montée. Désormais, si nous sommes les membres du corps de cette Tête (Col 1,18), pourquoi désespérer de parvenir au ciel ? S'il est vrai que sur cette terre tant d'inquiétudes et de souffrances nous accablent, suivons le Christ en qui se trouvent le bonheur parfait, la paix suprême et la tranquillité éternelle.

Mais l'homme désireux de suivre le Christ écoutera cette parole de l'apôtre Jean : « Celui qui déclare demeurer dans le Christ doit marcher lui-même dans la voie où lui, Jésus, a marché » (1Jn 2,6). Tu veux suivre le Christ ? Sois humble, comme il l'a été. Tu veux le rejoindre dans les hauteurs ? Ne méprise pas son abaissement.

Sermon 159, 1,4-6 ; CCL 104,650
(trad Delhougne, Les Pères commentent, p. 288)

« En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de pitié envers eux »

 

« Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde » (Mt 5,7). Le mot de miséricorde est doux, mes frères. Si le mot est doux, combien plus la chose ? (...) Puisque nous voulons tous la miséricorde, prenons-la comme protectrice en ce monde afin qu'elle nous libère dans le monde à venir. En effet il y a une miséricorde dans le ciel, à laquelle on parvient par des actes de miséricorde sur la terre. L'Écriture dit bien : « Seigneur, ta miséricorde est dans le ciel » (Ps 35,6 Vulg).

Il y a donc une miséricorde sur la terre et une autre dans le ciel, c'est-à-dire l'une humaine et l'autre divine. Quelle est la miséricorde humaine ? C'est que tu te penches sur la misère des pauvres. Et quelle est la miséricorde divine ? Sans aucun doute c'est celle qui accorde le pardon des péchés. Tout ce que la miséricorde humaine donne sur le chemin de cette vie, la miséricorde divine le rend dans la patrie. Car c'est Dieu qui, en ce monde, souffre du froid et de la faim en tous les pauvres, comme il l'a dit lui-même : « Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,40). Dieu qui, du haut du ciel, veut donner, sur la terre, veut recevoir

Sermon 25, 1; CCL 103, 111-112  (in Livre des jours –
Office romain des lectures; trad. A.-M. Roguet et Orval; Le Cerf –
Desclée de Brouwer – Desclée – Mame; Paris 1976; 17e lundi, p.884-885,rev.)

Pardonner à son frère de tout son coeur

 

      Vous savez ce que nous dirons à Dieu dans la prière avant d'en arriver à la communion : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Préparez-vous intérieurement à pardonner, car ces paroles, vous allez les rencontrer dans la prière. Comment allez-vous les dire ? Peut-être ne les direz-vous pas ? Finalement, telle est bien la question : direz-vous ces paroles, oui ou non ? Tu détestes ton frère, et tu prononces « Pardonne-nous comme nous pardonnons » ? -- J'évite ces mots, diras-tu. Mais alors, est-ce que tu pries ? Faites bien attention, mes frères. Dans un instant, vous allez prier ; pardonnez de tout votre coeur !

      Regarde le Christ pendu sur la croix ; écoute-le prier : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34). Tu diras sans doute : lui pouvait le faire, pas moi. Je suis un homme, et lui, il est Dieu. Tu ne peux pas imiter le Christ ? Pourquoi alors l'apôtre Pierre a-t-il écrit : « Le Christ a souffert pour vous, il vous a laissé un exemple, afin que vous suiviez ses traces » (1P 2,21) ? Pourquoi l'apôtre Paul nous écrit-il : « Soyez les imitateurs de Dieu comme des fils bien-aimés » (Ep 5,1) ? Pourquoi le Seigneur lui-même a-t-il dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur » (Mt 11,29) ? Nous biaisons, nous cherchons des excuses, quand nous prétendons impossible ce que nous ne voulons pas faire... Mes frères, n'accusons pas le Christ de nous avoir donné des commandements trop difficiles, impossibles à réaliser. En toute humilité, disons-lui plutôt avec le psalmiste : « Tu es juste, Seigneur, et ton commandement est juste » (Ps 118,137).

Sermon Morin 35 ; PLS IV, 303s
(trad. En Calcat)

« Jésus passait par les villes et les villages en enseignant »

 

      Faites bien attention, frères très chers : les saintes Écritures nous ont été transmises pour ainsi dire comme des lettres venues de notre patrie. Notre patrie, en effet, c'est le paradis ; nos parents, ce sont les patriarches, les prophètes, les apôtres et les martyrs ; nos concitoyens, les anges ; notre roi, le Christ. Quand Adam a péché, nous avons été pour ainsi dire jetés dans l'exil de ce monde. Mais parce que notre roi est fidèle et miséricordieux plus qu'on ne peut le penser ou le dire, il a daigné nous envoyer, par l'intermédiaire des patriarches et des prophètes, les saintes Écritures, comme des lettres d'invitation par lesquelles il nous invitait dans notre éternelle et première patrie… En raison de son ineffable bonté, il nous a invités à régner avec lui.

      Dans ces conditions, quelle idée se font d’eux-mêmes les serviteurs qui…ne daignent pas lire les lettres qui nous invitent à la béatitude du Royaume ?… « Celui qui ignore sera ignoré » (1Co 14,38). Certainement, celui qui néglige de chercher Dieu dans ce monde par la lecture des textes sacrés, Dieu à son tour refusera de l'admettre dans la béatitude éternelle. Il doit craindre qu'on ne lui ferme les portes, qu'on ne le laisse dehors avec les vierges folles (Mt 25,10) et qu'il ne mérite d'entendre : « Je ne sais pas qui vous êtes ; je ne vous connais pas ; écartez-vous de moi, vous tous qui faites le mal »… Celui qui veut être écouté favorablement de Dieu doit commencer par écouter Dieu. Comment aurait-il le front de vouloir que Dieu l'écoute favorablement, s'il en fait si peu de cas qu’il néglige de lire ses préceptes ?

Sermon 7 ; CCL 103, 37s (trad. SC 175, p. 341s rev.)

Saint Etienne, le premier à suivre dans les pas du Christ

 

      « Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses pas » (1P 2,21). Quel exemple du Seigneur aurons-nous à suivre ? Est-ce celui de ressusciter les morts ? Est-ce de marcher sur la mer ? Pas du tout, mais d'être doux et humbles de coeur (Mt 11,29) et d'aimer non seulement nos amis mais même nos ennemis (Mt 5,44).

      « Afin que vous suiviez ses pas », écrit saint Pierre. Le bienheureux évangéliste Jean le dit aussi : « Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ doit marcher comme lui il a marché » (1Jn 2,6). Comment le Christ a-t-il marché? Sur la croix il a prié pour ses ennemis, en disant : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34). Ils ont en effet perdu le sens et sont possédés d'un esprit mauvais, et alors qu'ils nous persécutent, ils souffrent du diable une plus grande persécution. C'est pourquoi nous devons prier plus pour leur délivrance que pour leur condamnation.

      C'est bien ce qu'a fait le bienheureux Étienne, lui qui le premier a suivi très glorieusement les pas du Christ. Car, alors qu'il était frappé d'une grêle de pierres, il a prié debout pour lui-même ; mais pour ses ennemis, s'étant mis à genoux, il s'est écrié de toutes ses forces : « Seigneur Jésus Christ, ne leur impute pas ce péché » (Ac 7,60). Donc, si nous pensons que nous ne pouvons pas imiter notre Seigneur, imitons au moins celui qui était son serviteur comme nous

Sermons au peuple, n° 37 (trad. SC 243, p. 233)

Donner du fruit trente, soixante ou cent pour un

 

      Frères, il y a deux sortes de champs : l'un est le champ de Dieu, l'autre celui de l'homme. Tu as ton domaine ; Dieu aussi a le sien. Ton domaine, c'est ta terre ; le domaine de Dieu, c'est ton âme. Est-il juste que tu cultives ton domaine et que tu laisses en friche celui de Dieu ? Si tu cultives ta terre et que tu ne cultives pas ton âme, c'est parce que tu veux mettre ta propriété en ordre et laisser en friche celle de Dieu ? Est-ce juste ? Est-ce que Dieu mérite que nous négligions notre âme qu'il aime tant ? Tu te réjouis en voyant ton domaine bien cultivé ; pourquoi ne pleures-tu pas en voyant ton âme en friche ? Les champs de notre domaine nous feront vivre quelques jours en ce monde ; le soin de notre âme nous fera vivre sans fin dans le ciel...

      Dieu a daigné nous confier notre âme comme son domaine ; mettons-nous donc à l'oeuvre de toutes nos forces avec son aide, pour qu'au moment où il viendra visiter son domaine, il le trouve bien cultivé et parfaitement en ordre. Qu'il y trouve une moisson et non des ronces ; qu'il y trouve du vin et non du vinaigre ; du blé plutôt que de l'ivraie. S'il y trouve tout ce qui peut plaire à ses yeux, il nous donnera en échange les récompenses éternelles, mais les ronces seront vouées au feu.

Sermons au peuple, n° 6 ; CCL 103, 32
(trad. SC 175, p. 327 et Orval)

« Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de pitié »

 

La vraie « miséricorde qui est dans les cieux » (Ps 35,6 Vulg), c'est le Christ notre Seigneur. Qu'elle est douce et qu'elle est bonne, cette miséricorde : alors que personne ne la cherchait, elle est descendue des cieux d'elle-même et s'est abaissée pour nous relever. Notre Seigneur a été frappé pour guérir nos blessures ; il est mort pour nous libérer de la mort éternelle ; il est descendu dans le séjour des morts pour ramener au ciel ceux que le diable avait ravis comme sa proie. (...)

De plus le Christ nous a encore promis d'être avec nous jusqu'à l'accomplissement du temps, comme il le dit lui-même dans l'Évangile : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Voyez sa bonté, mes frères : il siège désormais au ciel à la droite du Père, et il veut bien peiner encore avec nous sur la terre. Avec nous, il veut avoir faim et soif, avec nous avoir froid, avec nous être un étranger, il ne refuse même pas de mourir et d'être emprisonné avec nous (Mt 25,35s). (...) Voyez quel amour pour nous le pousse ; dans sa tendresse inexprimable, il veut souffrir en nous tous ces maux.

Oui, la vraie miséricorde dans le ciel, notre Christ Seigneur, t'a créé alors que tu n'existais pas, il t'a cherché alors que tu étais perdu, il t'a racheté alors que tu t'étais vendu. Alors, chers frères, nous qui avons été cherchés et trouvés, cherchons celui qui nous a tant aimés. (...) Mais que dis-je, le chercher ? Si seulement nous voulions nous laisser trouver par lui ! (...) Car chaque jour le Christ daigne s'offrir au genre humain. Mais hélas, tous n'acceptent pas de lui ouvrir la porte de leur cœur.    

Sermon 26, 2-5; PLS IV*, 297-299; SC 243
(Sermons au peuple, 21-55, t. II; M.-J. Delage; Éd. du Cerf 1978, p. 85)

« Abraham a vu mon jour »

 

Où donc a eu lieu cette rencontre [d'Abraham et de ses trois visiteurs] ? « Au chêne de Mambré », ce qui signifie « vision » ou encore « perspicacité ». Voyez-vous en quel endroit le Seigneur peut organiser une rencontre ? Il est vrai que les qualités de clairvoyance et de perspicacité d'Abraham plaisaient au Seigneur ; il avait le cœur pur, de sorte qu'il lui était possible de voir Dieu (cf Mt 5,8). En un tel lieu, en un tel cœur, le Seigneur pouvait donc réunir des convives.

Dans l'Évangile, le Seigneur a parlé aux juifs de cette rencontre ; il leur dit : « Abraham, votre père, a exulté à la pensée qu'il verrait mon jour. Il l'a vu et a été dans la joie ». « Il a vu mon jour », dit-il, parce qu'il a reconnu le mystère de la Trinité. Il a vu en son jour le Père, le Fils et le Saint Esprit, et les trois personnes réunies en un seul jour, tout comme Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint Esprit ne sont tous trois qu'un seul Dieu. En effet, chaque personne divine en particulier est un Dieu à part entière, et simultanément toutes trois ensemble sont Dieu. Il n'est donc pas incongru de discerner le Père, le Fils et le Saint Esprit dans les trois mesures de farine qu'apporte Sarah, puisqu'il y a unité de substance.

On peut néanmoins avancer une autre interprétation et voir en Sarah l'image de l'Église : les trois mesures de farine peuvent être interprétées comme étant la foi, l'espérance et la charité. Ces trois vertus rassemblent en effet les fruits de l'Église universelle ; tout homme qui a mérité de réunir en lui ces trois vertus peut être assuré de recevoir la Trinité toute entière en son cœur.

Homélie 83 ; éd. Morin 340  
(trad. coll. Pères dans la foi, n° 22, p. 130)

« Moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant »

 

« Si quelqu'un observe toute la Loi mais s'il est en faute sur un seul point, le voilà en infraction par rapport à l'ensemble de la Loi » (Jc 2,10). Quel est cet unique précepte, sinon le vrai amour, la charité parfaite ? C'est d'elle que l'apôtre Paul a dit aussi : « Une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5,14). (…)

Car la vraie charité est patiente dans l'adversité et modérée dans la prospérité. Elle est forte dans les souffrances pénibles, joyeuse dans les bonnes œuvres, parfaitement en sûreté dans la tentation. Elle est très douce entre vrais frères, très patiente parmi les faux. Elle est innocente au milieu des embûches ; elle gémit au milieu des malfaisances ; elle respire dans la vérité. Elle est chaste en Suzanne mariée, en Anne veuve, en Marie vierge (Dn 13,1s; Lc 2,36). Elle est humble dans l'obéissance de Pierre et libre dans l'argumentation de Paul. Elle est humaine dans le témoignage des chrétiens, divine dans le pardon du Christ. Car la vraie charité, frères très chers, est l'âme de toutes les Écritures, la force de la prophétie, la charpente de la connaissance, le fruit de la foi, la richesse des pauvres, la vie des mourants. Gardez-la donc fidèlement ; chérissez-la de tout votre cœur et de toute la force de votre esprit (cf Mc 12,30).

Sermons au peuple, n° 23, 4-5, s’inspirant de saint Augustin ; SC 243
 (Sermons au peuple 21-55, tome II; trad. M.-J. Delage; Éd. du Cerf 1978; p. 51 rev.)