Lansperge le CHARTREUX
(1489-1539)
écrits
Religieux, théologien
« Heureux les persécutés pour la justice » (Mt 5,10)
La mort du Christ est à l'origine d'une foule innombrable de croyants. Par la puissance de ce même Seigneur Jésus, et grâce à sa bonté, la mort précieuse de ses martyrs et de ses saints a fait naître une grande multitude de chrétiens. Jamais, en effet, la religion chrétienne n'a pu être anéantie par la persécution des tyrans et le meurtre injustifiable d'innocents : elle en a plutôt tiré chaque fois un grand accroissement.
Nous en avons un exemple en saint Jean, qui a baptisé le Christ et dont nous fêtons aujourd'hui le saint martyre. Par fidélité à son serment, Hérode, ce roi infidèle, a voulu effacer complètement de la mémoire des hommes le souvenir de Jean. Or, non seulement Jean n'a pas été anéanti, mais des hommes par milliers, enflammés par son exemple, ont accueilli la mort avec joie pour la justice et la vérité… Aujourd'hui quel chrétien digne de ce nom n'honore pas Jean, celui qui a baptisé le Seigneur ? Partout dans le monde les chrétiens célèbrent sa mémoire, toutes les générations le proclament bienheureux et ses vertus remplissent l'Église de leur bonne odeur. Jean n'a pas vécu pour lui seul et il n'est pas mort pour lui seul.
Sermon pour le martyre de Jean Baptiste,
Opera omnia, t. 2, p. 514s (trad. Orval)
« Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1)
Mes frères, nul n'ignore que nous sommes tous nés dans les ténèbres et que nous y avons vécu autrefois. Mais faisons en sorte de ne plus y rester, maintenant que le soleil de justice s'est levé pour nous (Ml 3,20)...
Le Christ est venu « illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, pour guider leurs pas dans le chemin de la paix » (Lc 1,79). De quelles ténèbres parlons-nous ? Tout ce qui se trouve dans notre intelligence, dans notre volonté ou dans notre mémoire, et qui n'est pas Dieu ou n'a pas sa source en Dieu, autrement dit tout ce qui en nous n'est pas à la gloire de Dieu et fait écran entre Dieu et l'âme, est ténèbres... Aussi le Christ, ayant en lui la lumière, nous l'a-t-il apportée pour que nous puissions voir nos péchés et haïr nos ténèbres. Vraiment, la pauvreté qu'il a choisie quand il n'a pas trouvé de place à l'hôtellerie est pour nous la lumière à laquelle nous pouvons connaître dès maintenant le bonheur des pauvres en esprit, à qui appartient le Royaume des cieux (Mt 5,3).
L'amour dont le Christ a témoigné en se consacrant à notre instruction et en s'exposant à endurer pour nous les épreuves, l'exil, la persécution, les blessures et la mort sur la croix, l'amour qui finalement l'a fait prier pour ses bourreaux, est pour nous la lumière grâce à laquelle nous pouvons apprendre nous aussi à aimer nos ennemis.
Sermon 5 ; Opera omnia, 3, 315-317
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 87)
« Vous êtes le temple de Dieu, et l'Esprit de Dieu habite en vous » (1Co 3,16)
La dédicace que nous commémorons aujourd'hui concerne, en réalité, trois maisons.
La première est le sanctuaire matériel... Il faut certes prier en tout lieu et il n'y a vraiment aucun lieu où l'on ne puisse prier. Pourtant, c'est une chose très convenable que d'avoir consacré à Dieu un lieu particulier où nous tous, chrétiens qui formons cette communauté, puissions nous réunir, louer et prier Dieu ensemble, et obtenir ainsi plus facilement ce que nous demandons, grâce à cette prière commune, selon la parole : « Si deux ou trois d'entre vous sur la terre se mettent d'accord pour demander quelque chose, ils l'obtiendront de mon Père » (Mt 18,19)...
La deuxième maison de Dieu, c'est le peuple, la sainte communauté qui trouve son unité dans cette église, c'est-à-dire vous qui êtes guidés, instruits et nourris par un seul pasteur ou évêque. C'est la demeure spirituelle de Dieu dont notre église, cette maison de Dieu matérielle, est le signe. Le Christ s'est construit ce temple spirituel pour lui-même... Cette demeure est formée des élus de Dieu passés, présents et futurs, rassemblés par l'unité de la foi et de la charité, en cette Église, une, fille de l'Église universelle, et qui ne fait d'ailleurs qu'un avec l'Église universelle. Considérée à part des autres Églises particulières, elle n'est qu'une partie de l'Église, comme le sont toutes les autres Églises. Ces églises forment cependant toutes ensemble l'unique Église universelle, mère de toutes les Églises... En célébrant la dédicace de notre église, nous ne faisons rien d'autre que de nous souvenir, au milieu des actions de grâce, des hymnes et des louanges, de la bonté que Dieu a manifesté en appelant ce petit peuple à le connaître...
La troisième maison de Dieu est toute âme sainte vouée à Dieu, consacrée à lui par le baptême, devenue le temple de l'Esprit Saint et la demeure de Dieu... Lorsque tu célèbres la dédicace de cette troisième maison, tu te souviens simplement de la faveur que tu as reçue de Dieu quand il t'a choisi pour venir habiter en toi par sa grâce.
Sermon sur la dédicace de l'église ; Opera omnia, 1, 702s
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 520)
Jean Baptiste, mort pour le Christ
Jean n'a pas vécu pour lui seul et il n'est pas mort pour lui seul. Combien d'hommes, chargés de péchés, sa vie dure et austère n'a-t-elle pas menés à la conversion ? Combien d'hommes sa mort imméritée n'a-t-elle pas encouragés à supporter leurs épreuves ? Et nous, d'où nous vient aujourd'hui l'occasion de rendre fidèlement grâce à Dieu, sinon du souvenir de saint Jean assassiné pour la justice, c'est-à-dire pour le Christ ?... Oui, Jean Baptiste a sacrifié de tout cœur sa vie ici-bas pour l'amour du Christ ; il a préféré mépriser les ordres du tyran plutôt que ceux de Dieu. Cet exemple nous enseigne que rien ne doit nous être plus cher que la volonté de Dieu. Plaire aux hommes ne sert pas à grand-chose ; souvent même cela nuit grandement... C'est pourquoi, avec tous les amis de Dieu, mourons à nos péchés et à nos agitations, foulons aux pieds notre amour-propre dévié, et veillons à laisser croître en nous l'amour fervent du Christ.
Sermon pour la Décollation de saint Jean Baptiste.
Opera omnia, t. 2, p. 514s (trad. Orval)
« Moi, qui suis la lumière, je suis venu dans le monde
pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres »
L'humilité avec laquelle le Christ « se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (Ph 2,7) est pour nous lumière. Lumière pour nous son refus de la gloire du monde, lui qui a voulu naître dans une étable plutôt que dans un palais et subir une mort honteuse sur une croix. Grâce à cette humilité nous pouvons savoir combien est détestable le péché d'un être de limon (Gn 2,7), un pauvre petit homme de rien, lorsqu'il s'enorgueillit, se glorifie et ne veut pas obéir tandis que nous voyons le Dieu infini humilié, méprisé et livré aux hommes.
La douceur avec laquelle il a supporté la faim, la soif, le froid, les insultes, les coups et les blessures est aussi pour nous lumière, lorsque « comme un agneau il a été conduit à l'abattoir et comme une brebis devant le tondeur il n'a pas ouvert la bouche » (Is 53,7). Grâce à cette douceur, en effet, nous voyons combien la colère est inutile, de même que la menace ; nous consentons alors à souffrir et nous ne servons pas le Christ par routine. Grâce à elle, nous apprenons à connaître tout ce qui nous est demandé : pleurer nos péchés dans la soumission et le silence, et endurer patiemment la souffrance quand elle se présente. Car le Christ a enduré ses tourments avec tant de douceur et de patience, non pour des péchés qu'il n'a pas commis, mais pour ceux d'autrui.
Dès lors, frères très chers, réfléchissez à toutes les vertus que le Christ nous a enseignées par sa vie exemplaire, qu'il nous recommande par ses exhortations et qu'il nous donne la force d'imiter avec l'aide de sa grâce.
Sermon 5 ; Opera omnia 3, 315
(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 88 rev.)