Jean Scot ÉRIGENE

(?-v. 870)

écrits

bénédictin irlandais 

« Ce qui était depuis le commencement..., ce que nous avons contemplé..., nous vous l'annonçons » (1Jn 1,1-3)

 

      Pierre et Jean courent tous deux au tombeau. Le tombeau du Christ c'est l'Écriture sainte, dans laquelle les mystères les plus obscurs de sa divinité et de son humanité sont défendus, si j'ose dire, par une muraille de rocher. Mais Jean court plus vite que Pierre, car la puissance de la contemplation totalement purifiée pénètre les secrets des œuvres divines d'un regard plus perçant et plus vif que la puissance de l'action, qui a encore besoin d'être purifiée. 

      Pierre entre cependant le premier dans le tombeau ; Jean le suit. Tous deux courent, et tous deux entrent. Ici Pierre est l'image de la foi, et Jean représente l'intelligence... La foi doit donc entrer la première dans le tombeau, image de l'Écriture sainte, et l'intelligence entrer à sa suite... 

      Pierre, qui représente aussi la pratique des vertus, voit par la puissance de la foi et de l'action le Fils de Dieu enfermé d'une manière inexprimable et merveilleuse dans les limites de la chair. Jean, lui, qui représente la plus haute contemplation de la vérité, admire le Verbe de Dieu, parfait en lui-même et infini dans son origine, c'est-à-dire dans son Père. Pierre, conduit par la révélation divine, regarde en même temps les choses éternelles et les choses de ce monde, unies dans le Christ. Jean contemple et annonce l'éternité du Verbe pour le faire connaître aux âmes croyantes. 

     Je dis donc que Jean est un aigle spirituel au vol rapide, qui voit Dieu ; je l'appelle théologien. Il domine toute la création visible et invisible, il va au-delà de toutes les facultés de l'intellect, et il entre divinisé en Dieu qui lui donne en partage sa propre vie divine.

.Homélie sur le prologue de l'évangile de Jean, §2
(trad. Jean expliqué, DDB 1985, p. 27 rev.) 

« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas : c'est lui qui vient derrière moi »

 

      Comme il est logique, c'est Jean l'évangéliste qui introduit Jean Baptiste dans son discours sur Dieu, « l'abîme appelant l'abîme » à la voix des mystères divins (Ps 41,8) : l'évangéliste raconte l'histoire du précurseur. Celui qui a reçu la grâce de connaître « le Verbe au commencement » (Jn 1,1) nous renseigne sur celui qui a reçu la grâce de venir en avant du Verbe incarné... Il ne dit pas simplement : il y eut un envoyé de Dieu, mais « il y eut un homme » (Jn 1,6). Il parle ainsi afin de distinguer le précurseur, qui participe seulement de l'humanité, et l'homme qui, unissant étroitement en lui divinité et humanité, est venu ensuite ; afin de séparer la voix qui passe du Verbe qui demeure toujours de façon immuable ; afin de suggérer que l'un est l'étoile du matin qui apparaît à l'aube du Royaume des cieux, et de déclarer que l'autre est le Soleil de justice qui lui succède (Ml 3,20). Il distingue le témoin de celui qui envoie, la lampe vacillante de la lumière splendide qui remplit l'univers (cf Jn 5,35) et qui, pour le genre humain tout entier, dissipe les ténèbres de la mort et des péchés...

      « Un homme fut envoyé. » Par qui ? Par le Dieu Verbe qu'il a précédé. Sa mission était d'être précurseur. C'est dans un cri qu'il envoie sa parole devant lui : « A travers le désert, une voix crie » (Mt 3,3). Le messager prépare l'avènement du Seigneur. « Son nom était Jean » (Jn 1,6) : la grâce lui a été donnée d'être le précurseur du Roi des rois, le révélateur du Verbe inconnu, le baptiseur en vue de la naissance spirituelle, le témoin, par sa parole et son martyre, de la lumière éternelle. 

Homélie sur le Prologue de Jean, ch. 15

(trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 168 ; cf SC 151, p. 275)

« Ce sont des guides aveugles pour des aveugles » 

 

      Saint théologien [saint Jean], d’abord tu as appelé le Fils de Dieu « Verbe », la Parole de Dieu ; ensuite tu l’appelles « vie » et « lumière » (1,1.4). C’est à juste titre que tu as changé ses noms, pour nous faire comprendre des significations différentes. Tu l’as nommé « Verbe », car c’est par lui que le Père a dit toutes choses, lorsqu’il a parlé et qu’aussitôt tout a été fait (Ps 33,9). Tu l’as nommé « lumière et vie » parce que le Fils est aussi la lumière et la vie de toutes les choses qui ont été faites par lui. Qu’est-ce qu’il illumine ? Rien d’autre que lui-même et son Père… : il s’illumine lui-même, il se fait connaître au monde, il se manifeste à ceux qui ne le connaissent pas. Cette lumière de la connaissance de Dieu avait quitté le monde, lorsque l’homme a abandonné Dieu. 

      La lumière éternelle se révèle au monde de deux façons, par l’Écriture et par la création (Ps 18; Rm 1,20). La connaissance de Dieu ne se renouvelle en nous que par les textes de l’Écriture sainte et la vue de la création. Étudiez les paroles de Dieu et recueillez dans votre cœur ce qu’elles signifient : vous apprendrez à connaître le Verbe. Percevez par vos sens corporels les formes magnifiques des choses accessibles à nos sens, et vous reconnaîtrez en elles Dieu le Verbe. En toutes ces choses, la vérité ne vous révélera rien d’autre que le Verbe lui-même, qui a tout fait (Jn 1,3) ; en-dehors de lui vous ne pouvez rien contempler, parce qu’il est lui-même toutes choses. Il est en toute chose qui existe, quelle qu’elle soit.

Homélie sur le prologue de l'évangile de Jean, 11

 (trad. Jean expliqué, DDB 1985, p. 35 rev.)