Syméon le NOUVEAU THEOLOGIEN

Syméon
le NOUVEAU THEOLOGIEN

(v. 949-1022)

écrits

Saint, Moine grec

 

L'aveuglement des hommes

 

 [Le Christ parle:]
Quand j'ai créé Adam, je lui ai donné de me voir
et par là d'être établi dans la dignité des anges...
Il voyait tout ce que j'avais créé avec ses yeux corporels
mais avec ceux de l'intelligence,
il voyait mon visage à moi, son Créateur.
Il contemplait ma gloire
et s'entretenait avec moi à toute heure.
Mais quand, transgressant mon commandement,
il a goûté à l'arbre,
il est devenu aveugle
et est tombé dans l'obscurité de la mort...

Mais je l'ai pris en pitié et suis venu d'en haut.
Moi, l'absolument invisible,
j'ai partagé l'opacité de la chair.
Recevant de la chair un commencement, devenu homme,
j'ai été vu de tous.
Pourquoi donc ai-je bien pu accepter de faire cela ?
Parce que c'est là la vraie raison
pour laquelle j'avais créé Adam : pour me voir.
Lorsqu'il a été aveuglé
et, à sa suite, tous ses descendants à la fois,
je ne supportais pas d'être, moi,
dans la gloire divine et d'abandonner...
ceux que j'avais créés de mes mains ;
mais je suis devenu semblable en tout aux hommes,
corporel avec les corporels,
et je me suis uni à eux volontairement.
Tu vois quel et mon désir d'être vu par les hommes...
Comment donc peux-tu dire que je me cache de toi,
que je ne me laisse pas voir ?
En vérité je brille, mais toi, tu ne me regardes pas.

Hymne 53 (trad. SC 196, p. 221s rev.)

Le règne de Dieu

 

      Je vais te montrer clairement que c'est ici-bas qu'il te faut recevoir le Royaume des cieux tout entier, si tu veux y pénétrer aussi après ta mort. Écoute Dieu qui te parle en paraboles : « A quoi donc comparer le Royaume des cieux ? Il est semblable, écoute bien, au grain de sénevé qu'un homme a pris et qu'il a jeté dans son jardin ; et il a poussé et, en vérité, il est devenu un grand arbre. » Ce grain, c'est le Royaume des cieux, c'est la grâce de l'Esprit divin, et le jardin, c'est le cœur de chaque homme, là où celui qui l'a reçu cache l'Esprit au fond de lui-même, dans les replis de ses entrailles, pour que personne ne puisse le voir. Et il le garde avec tous ses soins, pour qu'il pousse, pour qu'il devienne un arbre et s'élève vers le ciel. 

      Si donc tu dis : « Ce n'est pas ici-bas, mais c'est après la mort que recevront le Royaume tous ceux qui l'auront désiré avec ferveur », tu bouleverses les paroles du Sauveur notre Dieu. Et si tu ne prends pas le grain, ce grain de sénevé, comme il l'a dit, si tu ne le jettes pas dans ton jardin, tu demeures totalement stérile. À quel autre moment, sinon maintenant, recevras-tu la semence ? 

      Ici-bas, reçois les arrhes, dit le Maître ; ici-bas, reçois le sceau. Dès ici-bas allume ta lampe. Si tu es sensé, c'est ici-bas que je deviens pour toi la perle (Mt 13,45), c'est ici-bas que je suis ton froment, et comme un grain de sénevé. C'est ici-bas que je deviens pour toi un levain et que je fais lever la pâte. C'est ici-bas que je suis pour toi comme de l'eau et que je deviens un feu adoucissant. C'est ici-bas que je deviens ton vêtement et ta nourriture et toute ta boisson, si tu le désires. » Voilà ce que dit le Maître. « Si donc ainsi, dès ici-bas, tu me reconnais tel, là-bas aussi tu me posséderas ineffablement, et je deviendrai tout pour toi. »

Hymne 17 (trad. Dourgne, Cerf 1979, p.87)

« Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu »

Le Seigneur nous a dit : « Scrutez les Écritures » (Jn 5,39). Scrutez-les donc et retenez avec beaucoup d'exactitude et de foi tout ce qu'elles disent. Ainsi, connaissant clairement la volonté de Dieu..., vous serez capables de distinguer, sans vous tromper, le bien du mal, au lieu de prêter l'oreille à n'importe quel esprit et d'être emportés par des pensées nuisibles.

Soyez certains, mes frères, que rien n'est aussi favorable à notre salut que l'observance des divins préceptes du Seigneur... Il nous faudra toutefois beaucoup de crainte, de patience et de persévérance dans la prière pour que nous soit révélé le sens d'un seul mot du Maître, pour que nous connaissions le grand mystère caché dans ses moindres paroles, et que nous soyons prêts à donner notre vie pour un seul petit trait des commandements de Dieu (cf Mt 5,18).

Car la parole de Dieu est comme une épée à deux tranchants (He 4,12) qui taille et coupe l'âme de toute convoitise et de tout instinct de la chair. Plus que cela, elle devient aussi comme un feu brûlant (Jr 20,9) lorsqu'elle ranime l'ardeur de notre âme, lorsqu'elle nous fait mépriser toutes les tristesses de la vie et considérer les épreuves comme une joie (Jc 1,2), lorsque, devant la mort que redoutent les autres hommes, elle nous fait désirer et embrasser la vie, en nous donnant le moyen d'y parvenir.

Catéchèses, 3 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 293 rev ; cf SC 96, p. 305)

« Jésus le toucha et lui dit : ' Je le veux ; sois purifié ' »

 

Avant que brille la lumière divine,
je ne me connaissais pas moi-même.
Me voyant alors dans les ténèbres et en prison,
enfermé dans un bourbier,
couvert de saleté, blessé, ma chair enflée...,
je suis tombé aux pieds de celui qui m'avait illuminé.

Et celui qui m'avait illuminé touche de ses mains
mes liens et mes blessures ;
là où touche sa main et où son doigt s'approche,
aussitôt tombent mes liens,
les blessures disparaissent, et toute saleté.
La souillure de ma chair disparaît...
si bien qu'il la rend semblable à sa main divine.
Merveille étrange : ma chair, mon âme et mon corps
participent à la gloire divine.

Dès que j'ai été purifié et débarrassé de mes liens,
le voici qui me tend une main divine,
il me retire du bourbier entièrement,
il m'embrasse, il se jette à mon cou,
il me couvre de baisers (Lc 15,20).
Et moi qui étais totalement épuisé
et qui avais perdu mes forces,
il me prend sur ses épaules (Lc 15,5),
et il m'emmène hors de mon enfer...
C'est la lumière qui m'emporte et me soutient ;
elle m'entraîne vers une grande lumière...
Il me donne à contempler par quel étrange remodelage
lui-même m'a repétri (Gn 2,7) et m'a arraché à la corruption.
Il m'a fait don d'une vie immortelle
et m'a revêtu d'une robe immatérielle et lumineuse
et m'a donné des sandales, un anneau et une couronne
incorruptibles et éternels (Lc 15,22).

Hymne 30 (trad. SC 174, p. 357)

« Combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ? »

 

D'où viens-tu ? Comment pénètres-tu,
je veux dire : à l'intérieur de ma cellule,
fermée de toute part ?
Ceci est en effet étrange,
dépasse parole et pensée.
Mais que tu viennes en moi,
soudain tout entier et que tu brilles,
que tu te laisses voir sous forme lumineuse,
comme la lune dans sa pleine lumière,
cela me laisse sans pensée
et sans voix, mon Dieu !
Je sais bien que tu es
celui qui est venu pour illuminer
ceux qui sont assis dans les ténèbres (Lc 1,79),
et je suis stupéfait, je deviens
privé de sens et de paroles,
à voir une merveille étrange
qui dépasse toute la création,
toute la nature et tous les mots...

Comment Dieu est-il hors de l'univers
par son essence et sa nature,
par sa puissance et par sa gloire,
et comment aussi habite-t-il partout et en tous,
mais d'une manière spéciale dans ses saints ?
Comment dresse-t-il sa tente en eux
d'une manière consciente et substantiellement,
lui qui est totalement au-delà de la substance ?
Comment est-il contenu dans leurs entrailles,
lui qui contient toute la création ?
Comment brille-t-il dans leur cœur,
ce cœur charnel et épais ?
Comment est-il à l'intérieur de celui-ci,
comment est-il en dehors de tout,
et remplit-il lui-même toute chose ?
Comment, la nuit et le jour,
brille-t-il sans être vu ?

Dis-moi, est-ce que l'esprit de l'homme
concevra tous ces mystères
ou pourra te les exprimer ?
Certes non ! un ange ne pourrait,
ni un archange, te l'expliquer ;
ils seraient incapables
de t'exposer cela avec des mots.
C'est donc l'Esprit de Dieu, parce qu'il est divin,
qui seul connaît ces mystères
et qui les sait parce que lui seul
partage la nature, le trône et l'éternité
avec le Fils et le Père.
C'est donc à ceux pour qui cet Esprit resplendira
et à qui il sera uni libéralement
qu'il montre tout d'une manière inexprimable...
C'est comme un aveugle : s'il voit,
il voit tout d'abord la lumière
et ensuite aussi toute la création
qui est dans la lumière, oh merveille !
De même, celui qui a été éclairé
par le divin Esprit dans son âme,
aussitôt entre en communion de la lumière
et contemple la lumière,
la lumière de Dieu, Dieu vraiment,
qui aussi lui montre tout,
ou plutôt tout ce que Dieu décide,
tout ce qu'il désire et ce qu'il veut.
A ceux qu'il éclairera par son illumination
il accorde de voir ce qui se trouve dans la lumière divine

Hymnes, n°29 (trad. SC 174, p. 315s)

« Alors leurs yeux s'ouvrirent »

 

Maître, ô Christ, Maître qui sauves les âmes,
Dieu, Maître de toutes les Puissances visibles et invisibles,
parce que Créateur de tout ce qui est dans le ciel,
et de ce qui existe au-dessus du ciel,
de ce qui est sous la terre,
mais aussi de ce qui est sur la terre...
Tu tiens tout dans ta main,
car c'est ta main, ô Maître, cette grande puissance
qui accomplit la volonté de ton Père,
qui forge, réalise, crée
et dirige nos vies de manière inexprimable.

C'est elle donc qui m'a créé moi aussi
et du néant m'a fait venir à l'être.
Et moi, j'étais né dans ce monde
et je t'ignorais totalement, toi le bon Maître,
toi mon créateur, toi qui m'as façonné,
et j'étais dans le monde comme un aveugle
et comme sans Dieu, car j'ignorais mon Dieu.

Alors en personne tu as eu pitié, tu m'as regardé,
tu m'as converti, ayant fait briller ta lumière dans mon obscurité,
et tu m'as attiré vers toi, ô Créateur.
Et après m'avoir arraché du fond de la fosse...
des désirs et des plaisirs de cette vie,
tu m'as montré le chemin, tu m'as donné un guide
pour me conduire vers tes commandements.
Je le suivais, je le suivais, sans souci...
Mais aussi, quand je te voyais, toi, le Bon Maître
là avec mon guide et avec mon Père,
j'éprouvais un amour, un désir indicibles.
J'étais au-delà de la foi, au-delà de l'espérance
et je disais : «  Voici que je vois les biens à venir (cf He 10,1),
il est là, le Royaume des cieux.
Je vois sous mes yeux ' ces biens que l'oeil n'a pas vus
et dont l'oreille n'a pas entendu parler ' » (Is 64,3; 1Co 2,9). 

Hymne 37 (trad. SC 174, p. 459 rev.)

 

« Qu’ils contemplent ma gloire ! » (Jn 17,24)

 

Toi qui es là-haut avec le Père et qui te trouves avec nous, (…) tu nous as montré la lumière de ta gloire immaculée, donne-la-moi, oui, maintenant encore, qu’elle ne me quitte plus !

donne-moi de toujours te contempler en elle, ô Verbe, de saisir telle qu’elle est ta beauté inaccessible qui, demeurant absolument insaisissable, frappe et foudroie mon intelligence, transporte mon esprit et allume en mon cœur le feu de ton amour !

C’est cette lumière qui, se déployant en flamme du désir divin, me fait voir plus distinctement ta gloire, ô mon Dieu ; cette gloire, en t’adorant je t’en supplie, Fils de Dieu, accorde-moi, dès maintenant et dans l’avenir, de la posséder inamissible et par elle de te contempler, Dieu, éternellement ! (…)

Oui, Pasteur compatissant, bon et doux, qui veux le salut de tous ceux qui croient en toi, aie pitié, exauce cette prière que je t’adresse : Ne t’irrite pas, ne détourne pas de moi ton visage, mais enseigne-moi à accomplir ta volonté, car je ne cherche pas à ce que ma volonté à moi se fasse, mais la tienne, afin de te servir, Miséricordieux !

Je t’en conjure, aie pitié, toi qui es naturellement pitoyable, et fais ce qui est utile à mon âme misérable parce que toi, toi seul es le Dieu ami de l’homme, incréé, sans fin, tout-puissant, véritablement, vie et lumière de ceux qui t’aiment et sont par toi, Ami de l’homme, tellement aimés !

Range-moi parmi eux, Maître, et de ta gloire divine rends-moi participant, fais-moi cohéritier, car à toi, Père, avec le Fils coéternel et l’Esprit divin, appartient la gloire dans les siècles de siècles. Amen.

Hymnes 47, SC 196 (Hymnes III ;
 trad. J. Paramelle et L. Neyrand, éd du Cerf, 2003 ; p. 123-129 ; rev.)